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Bob Dylan, 7 phrases pour un Nobel

Recommander Par Hervé Resse 13 octobre 2016

Bob Dylan, 7 phrases pour un Nobel
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Ecrit à chaud, à vif, sans le moindre recul. Bob Dylan, 75 ans, élu ce 13 octobre, prix Nobel de Littérature 2016. Je l'aime depuis que j'ai 7 ans. Et ne sais s'il faut ce jour en pleurer d'émotion, en rire tellement c'est incroyable, ou se dire que tout, dans ce monde, tout est décidément possible.

Ado ashkénaze il rêvait d'être Buddy Holly. L'auteur de Peggy Sue s'écrasa deux jours après que le jeune homme l'ait vu en concert. Quelques soixante années plus tard, Robert Zimmermann reste la "personnalité multiple" la plus déconcertante du monde moderne et post-moderne. Le plus beau cadeau que la schizophrénie ait offert à ces temps qui sont toujours les mêmes, plus ils ne cessent de changer. 

Fêtons aujourd'hui l'homme qui dès ses premières interviews, s'amusait à désarçonner les journalistes, qui lui demandaient si c'était Dylan ou Zimmermann qui parlait... "Je ne sais pas, c'est vous qui le savez". Impossible de penser à Dylan sans songer aussitôt à Rimbaud: "je est un autre". Tout est dit là. Dans un film où il jouait un second rôle son personnage s'appelait Alias. Dans un autre qu'il tourna autour de sa tournée 1976, il jouait un autre personnage que lui, et c'était un autre qui tenait son rôle. Dylan est hanté depuis le premier jour par l'idée du double. Son producteur, Jack Frost? C'est lui. Qu'on tourne un biopic sur sa vie, l'idée de génie serait de le faire interpréter par six acteurs différents, dont un noir, et une femme. Et de choisir pour titre une chanson s'intitulant "I'm not there". Je ne suis pas là. Chanson d'ailleurs longtemps introuvable, histoire de corser l'addition... 

Tour à tour -ou à la fois- beatnik mythomane,  apprenti poète et voleur de disques et d'idées, alchimiste des mots, inventeur du rock moderne post Presley (Elvis a libéré nos corps, Dylan a libéré nos âmes, résume Springsteen), messager de nos rêves, de nos peurs, de nos colères... toujours contre son gré. Icône christique malgré lui, born again christian sans qu'on ait jamais su si Jésus lui avait VRAIMENT tapé sur l'épaule, has-been complet déserté par l'inspiration, plus tard ressuscité en vieux sage, après long temps d'errance... Nomade richissime gravissant comme Sisyphe les mille étapes d'une Tournée sans Fin... 

Il incarne à lui seul toute l'Americana: des standards de Broadway aux ballades folk des hobos, du "folk-rock" au gospel, du hard rock au reggae, du jazz aux blues moites du Mississipi. 

Et l'inclassable touche ce jour au sublime: il devient prix Nobel de littérature en n'ayant toujours pas trouvé le temps de pondre le Tome 2 de ses magnifiques Chroniques, publiées voilà plus de 10 ans. Oui, mais... voilà. Parmi les quelques 653 chansons qu'affiche son répertoire, il y a toutes celles qui ont marqué "nos" vies. Qui expriment en des mots mystérieux, hermétiques, ou lumineux d'audaces, la sensibilité, les émotions, les espoirs, les colères, les doutes, les rêves, les enthousiasmes si vite désenchantés, de trois ou quatre générations d'individus disséminés sur cette planète qui tourne si mal. C'est la victoire inattendue du sexe et du rock n roll sur l'Art officiel. J'imagine Patrick Eudeline, ruminer une aigre chronique où il pourra dénoncer la mystification.  On peut à l'inverse choisir, ce jour, de ne point bouder son plaisir...

Que la chanson soit un art ou une industrie, ou les deux, ou ni l'un ni l'autre, ou autre chose encore, il y a quelque chose de chacun de nous qui peut se retrouver dans ce Nobel du jour. Et ce n'est pas si souvent. Il me semble même que Mandela serait content... Voici 7 phrases, tirées de 7 chansons. Et pour lire ses textes bien traduits en français, un site indispensable!

1 Combien de routes un homme doit-il parcourir avant que vous ne l'appeliez "homme"?

La réponse, mon ami...

Ce qui fut sans doute son premier trait de génie. Trois strophes universelles, intemporelles, dont Stevie Wonder a dit qu'elles annonçaient toutes les souffrances du monde A VENIR: lutte pour les droits civiques, guerre du Viet-Nam, dénonciation de l'apartheid, et des famines africaines. Eternité de l'injustice des hommes. Et l'entêtante anaphore, qui demande... "Combien d'années..." Avec pour seule réponse, comme une énigme. Mais "l'énigme est le comble du sens", pas vrai? "La réponse, mon ami, elle souffle dans le vent"... S'arranger avec ça!

2 Sauf pour aller au ciel, il n'y a pas d'obstacle à franchir.

Monsieur Tambourin

Dans une jolie biographie, Paul McCartney raconte cette anecdote: "Mon plaisir c'est quand un musicien du groupe vient me dire "ah, super ce soir notre version de Let It Be!". Alors je dis, "Oui, je crois qu'on la tient, ce coup-ci! On va la jouer comme ça durant toute  la tournée". Mais Paul ajoute aussitôt: un jour j'ai entendu Dylan à la fin d'un concert. Un de ses musiciens s'approche, lui dit: "Super, ce soir, On l'a vraiment bien joué Mr Tambourine Man, hein!". Et Dylan de répliquer: Ah bon? Et bien, OK. On arrête de la jouer, alors!"... Tout cela résume le bonhomme. C'est insaisissable, ce type qui déconstruit ses morceaux et désoriente son public. Et ces critiques qui pestent de ne l'avoir pas entendu chanter ce soir "ses plus grands succès"... En citant des exemples, de préférence parmi ceux qu'il a effectivement joués!

Ici, une version live de 1966, où l'ami Bob a manifestement abusé du speed, mais sa version s'en trouve totalement transportée...

3 ​Nous regardions étinceler les carillons de la liberté​

Le Carillon de la Liberté

Bien après le coucher du soleil et avant que sonne minuit, 

Nous nous réfugiions sous le porche, alors que la foudre frappait

Et que des éclairs grandioses chassaient l'ombre avec fracas

Ils ressemblaient aux carillons de la liberté qui étincelaient

Qui étincelaient pour le guerrier dont la force est de ne pas combattre,

Qui étincelaient pour les réfugiés sur la route sans armes

Et pour tous les soldats égarés dans la nuit,

Nous regardions étinceler les carillons de la liberté

Par ces mots commencent une des plus belles chansons de Dylan, une des plus optimistes, celle de l'espérance. Je les dirai ce soir, un hasard merveilleux que ces mots, qui me sont aujourd'hui rappelés.  

Ici, interprétation par Bruce Springsteen. Il doit être heureux, lui aussi...

4 Qui n'est pas occupé à naître... est occupé à mourir

tout va bien m'man

Parmi tous les Dylan's Quotes, c'est l'une des plus connues, des plus reprises, et on me reprocherait sans doute de ne pas la citer... Cette idée d'une renaissance permanente de soi, est si l'on veut bien s'y arrêter, l'une des plus belles invitations à vivre pleinement l'existence. On parle souvent de l'oeuvre de Dylan comme d'une oeuvre poétique hermétique. Elle est aussi un double parcours initiatique. Celui qu'il a vécu, le sien... et celui qu'il invite à emprunter,  qui s'adresse à chacun d'entre nous. J'aimerais savoir faire mienne, parfois, cette phrase-là. Pour renaître, encore. Est-il trop tard ? Jamais trop tard. 

Tout va bien, m'man. C'est la vie, simplement...

5 Je pensais à Alicia Keys, je ne pouvais retenir mes larmes

Tonnerre sur la montagne

...A l'époque où elle est née à Hell's Kitchen, je vivais un peu plus bas. 

Je me demande bien où peut être Alicia Keys, je l'ai cherchée même à travers le Tennessee...

Des personnages réels, vivants ou morts, ont toujours squatté l'oeuvre dylanienne, certains comme des fantômes, d'autres comme des visions surréalistes inattendues, Einstein ou Napoléon, Cain et Abel ou Casanova... Dylan est chroniqueur de son propre cerveau, il y règne un joyeux bordel, mais ne vous y trompez pas. Tout est en ordre, c'est un cerveau de poète, les connexions sont juste différemment connectées. Ce Nobel, c'est celui qu'auraient pu recevoir Tristan Tzara, Rimbaud, André Breton. C'est le Nobel pour Dali  et Picasso, le Nobel pour Allen Ginsberg et Kerouac, pour William Burroughs et Bowie. 

6 Si la Bible dit vrai, ce monde va exploser

Oscar de la meilleure musique de film 2001

Impossible d'envisager Dylan sans que la référence "Bible" ne fasse une intrusion. Dans toute son oeuvre, elle tient une place explicite plus importante que les drogues, que les femmes, que la vie.  Dès ses premiers textes, il évoquait la guerre, les possibles apocalypses nucléaires, il faut dire qu'il démarrait sa carrière juste après la Baie des Cochons, en pleine crise des missiles. On dit qu'il a toujours été adversaire de la guerre au Viet-Nam. Légende ! 

Aucune chanson n'y fait une référence explicite, encore moins pour la condamner. En vérité, la violence est partout dans l'oeuvre de Dylan,  celle des hommes et celles des dieux. "Il faut que je me tienne le plus loin possible... de moi-même", ajoutait-il après cette référence au Saint Livre, dans ce titre  intitulé "Les Choses ont Changé". Il sait pertinemment que rien ne change, au contraire. Armageddon menace, mais le pire ennemi de chacun est en lui-même. Dylan est un annonciateur d'Apocalypses, il vous dit cela comme on parlerait du temps qu'il va faire. Bob est un genre de Jack le Fataliste.

7 Ecoute siffler le Duquesne au loin, siffle comme s'il n'allait jamais plus siffler

Tu l'entends, le sifflet de Duquesne?

Dylan est devenu vieux. Il accède à l'éternité, à côté de Churchill et Kipling, il devient un mythe de la langue anglo-saxonne vivante. On dira qu'il faut s'en foutre, car le rock n'a besoin d'aucune couronne. On dira qu'il faut s'en réjouir, car le rock est ainsi reconnu comme un Art, et pas seulement comme une industrie. On pourra dire tous les points de vue: l'inspecteur Harry nous l'a déjà dit tant de fois, "les points de vue c'est comme les trous du cul, tout le monde en a un".  

Dylan de toute façon n'aspire pas à la modernité, quand il pense locomotive il pense Duquesne à vapeur des années de son enfance. Quand il célèbre les bluesmen, il chante Charley Patton ou Blind Willie McTell. Quand il reprend les standards, il revisite Sinatra. Les Stones vont sortir un album de reprises des vieux standards de blues, et McCartney avoue tardivement sa passion pour Nat King Cole. Ce qu'il y a de bien avec la litanie du "c'était mieux avant", c'est qu'avant c'est maintenant. Et demain, c'est jamais. Dylan a le prix Nobel. "Quand on a vécu ça, on peut mourir tranquille!" -Ca vous rappelle Thierry Roland? C'est incongru mais c'était voulu!

8 7+ : Mes pages du passé

Pour fêter ce beau jour, une réunion de stars, George Harrison, Eric Clapton, Neil Young, Tom Petty, Roger McGuinn, constituait le presque final du concert pour les 30 ans de carrière de Bobby en 1993. 

Un concert inoubliable où se croisaient aussi Lou Reed, Johnny Cash, Stevie Wonder, Chrissie Hynde, John Mellencamp. Indispensable dans toute vidéothèque dylanophile, à l'évidence...

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