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La malédiction des 27 chez les Rockers !

Décrypter Par Hervé Resse 19 mai 2019

La malédiction des 27 chez les Rockers !

Club des 27

Wikipedia
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Chaque culture s’invente ses mythes et légendes. Dans l’histoire du rock, 27 resterait cet âge maudit où meurent certains génies. Ne serait-il pas temps de dégonfler cette baudruche ?

Il y aura cinquante ans cet été, Lewis Brian Hopkins Jones, dit Brian Jones, leader déchu du groupe de blues-rock anglais The Rolling Stones, lançait une mode à laquelle ont depuis sacrifié certains de ses collègues en rockitude. [La rigueur historique oblige à préciser qu’avant lui, la légende évoquait déjà  le bluesman Robert Johnson, ayant échangé son âme au Diable contre sa virtuosité à la guitare. Le Malin était venu récupérer son bien aux  27 printemps du musicos. Mouais... Sors de ce corps, Faust !]

Ils sont innombrables, les hérauts tombés depuis l’après-guerre, au chant d’honneur du rock n’roll, bien avant l’heure. Mais après Brian Jones, on aura remarqué que, fruit du hasard ou volonté satanique, plusieurs auront reçu leur convocation au Banquet d’Odin à cet âge funeste de 27 ans. On félicitera le premier qui fit le rapprochement. On pourra aussi s’étonner que Wikipédia, (notre Bible en tout, désormais) consacre un si volumineux article à ce « Club des 27 », dont l'intitulé vous a, je trouve, un côté Enyd Bliton un rien désuet… sinon kitsch. Citons aussi Eric Segalstad et Josh Hunter, auteurs d’un ouvrage consacré à cette malédiction (The 27s: The Greatest Myth of Rock & Roll), même si son superlatif semble assez exagéré. 

L’auteur d’une biographie consacrée à Kurt Cobain affirme que c’est son suicide qui sacralisa cette hypothèse. D’autres proposent qu’elle atteignit plutôt le grand public à la faveur du départ précipité de la chanteuse Amy Winehouse. L’auteur de ces lignes se souvient qu’on évoquait déjà le nombre maudit au crépuscule des sixties, quand après Brian Jones disparurent Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison. Fameux carré d’as. Ensuite, on peut gloser longtemps sur l’ancrage du mythe dans « l’inconscient collectif ».

Les esprits rationnels se plairaient à dresser des listes tout aussi impressionnantes de ceux morts avant, ou juste après. Tenez : je pioche au hasard 3 noms (réalisé sans trucage). Eddie Cochran, Buddy Holly, Sid Vicious, paf ! les trois sont morts à 22 ans. Probable qu’en cherchant un peu, on en trouverait d’autres, sans que cela ne déchaîne le moindre engouement. Voilà bien le principe du mythe : il est arbitraire, comme tout signe; mais il peut se répandre sans limite, pour peu qu’on ait envie d’y croire.

Or justement, ne serait-il pas temps d’en finir avec ce pseudo romantisme à deux balles ? Ce club ne serait-il pas surtout celui des Junkies morts à 27 ? Chacun de ses membres a incarné quelque chose d’immense dans l’histoire moderne des musiques électriques, inutile de le nier. Mais abordons si vous le voulez le suje sans romantisme, et visitons son côté obscur…

1 La malédiction des 27 : Amy Winehouse

Née le 14 septembre 1983, morte le 23 juillet 2011. A deux mois près, elle s’excluait d’elle-même de la liste fatale… On peut dès lors y voir un sens ultime du sacrifice. Pour l’heure, Amy clôt provisoirement cette farandole. Au moment de sa disparition, elle travaillait sur un projet aux côtés de l’également très auto-destructeur Pete Doherty (Libertines, Baby Shambles, Puta Madres). Celui-ci à ce jour n’a pas cracké ; fête cette année ses 40 ans ; peut donc candidater, s’il persévère, à la liste des « survivants à tout », aux côtés d’un Keith Richards et de tant d’autres, citons David Crosby ou Stephen Stills, joyeux membres septuagénaires du « club des gars de la Narine ». 

Amy Winehouse avait cette voix intense. On la comparait pour cela aux grandes ladies du jazz, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, ce qui honnêtement ne saute guère aux oreilles… sinon peut-être pour la première, avec qui elle partageait oui ce côté funambule, toujours au bord du gouffre. Quelque chose dans la voix incarnait cette douleur d’être, peut-être même une détestation de soi, poussant à s’autodétruire...  Mais dans un univers où la marchandisation de toute chose règne en maître absolu, n’a-t-on pas sur-vendu sa chute, y inscrivant une dimension symbolique valant surtout pour son potentiel commercial ?

Quelle leçon de vie tirer de la mort d’Amy :  chez certains êtres, et cela vaut chez tous ceux qui vont suivre, le talent ne constitue pas toujours une protection efficace contre son pire ennemi : soi-même.

2 La malédiction des 27 : Kurt Cobain

Au début des nineties, voix rocailleuse à souhait, il est l’icône du mouvement Grunge. Le style inspiré du punk repose sur ce concept : les couplets sont plutôt calmes, puis tout s’énerve au moment du refrain. Le chanteur de Nirvana est d’une santé très fragile, contrastant avec la violence qu’exprime son groupe. Malheureuse inspiration, il identifie vite l’héroïne comme médoc efficace à ses différents troubles (dos, estomac, asthme, mais surtout tempérament dépressif), illustrant de façon parfaite le concept du « remède pire que le mal ». Les dernières semaines de sa vie sont un chaos, un gigantesque gâchis au regard du succès mondial ayant salué l'album Nevermind, un des plus gros scores de vente de l’Histoire. Je prends néanmoins le risque d’affirmer qu’en revanche, sa version « Unplugged » du titre de David Bowie, the Man who Sold The World, n’a définitivement rien de mythique. Bien au contraire, elle sonnait de fort mauvais augure. La scène était décorée ce soir-là par Cobain, (sic) « comme pour un enterrement ». De fait il se suiciderait trois mois plus tard laissant une lettre d’adieu… à son ami imaginaire d’enfance. 

Quelle leçon de vie tirer de la mort de Kurt ? Probablement la formule est-elle un peu cruelle, mais certains finissent « plus grands mort, que vivant ». La destinée du chanteur peut nourrir la fièvre romantique des adolescents. Mais du temps qu’il vivait, quelqu’un dans son entourage professionnel a-t-il seulement songé à l’aider à combattre ses (nombreux) ennemis ?

3 La malédiction des 27 : Jim Morrison

Cela n’est pas spécifique au monde du rock, ni à l’époque, mais l’industrialisation de la création artistique conduit à transformer tout réel, si sordide ou désolant qu’il soit, en storytelling. Les biopics sont une des façons de transmuter la douleur humaine en imaginaire collectif… puis en or. « There’s no business like show business ». On ne vous apprend rien… 

Jim Morrison, fils de militaire, poète et sex-symbol, impose ce timbre grave et ce phrasé inimitables, fascinants, qui ajoutent à son physique charismatique. Il est clairement le pendant masculin de Janis Joplin, qui l’a déjà précédé aux Enfers. Jim est « LE » mythe en soi, jusque et surtout dans ses excès. Ce qui offrira plus tard à Oliver Stone l’opportunité d’un film, The Doors, où Val Kilmer réussissait une performance assez épatante. Mais le film usait (abusait) d’une analogie laborieuse entre le chanteur poète maudit, transfiguré en prophète d’une jeunesse assoiffée de liberté, et le dénommé Jésus-Christ, lui-même superstar à ses heures, en cette époque épique. Encore peut-on constater que, bien des années plus tard, (48 à l’heure où nous parlons) de nombreux fans aiment à se retrouver au Père Lachaise où il repose. Comme pour d’autres, l’hypothèse d’un assassinat a parfois été soulevée. On y reviendra.

4 La malédiction des 27 : Janis Joplin

Celle qu’on appelait « Pearl », incarne comme nulle autre la démesure, la souffrance, l’excès, la sensualité, la rage, le cœur, la folie, peut-être… Dans un bel article qu’elle lui consacrait, la journaliste Sophie Rosemont résumait pour Vanity Fair : « Janis Joplin a su ouvrir grand la porte du rock aux femmes. Sans sa sincérité, son désespoir, son engagement et sa grande liberté de corps comme d’esprit, il n’y aurait sans doute pas eu de Patti Smith, de Joan Jett, de Courtney Love, d’Amy Winehouse ». 

Sans doute. 

Mais justement! Ecoutons Patti narrant leurs rencontres à la sortie de son livre magnifique, Just Kids. Elle précisait : « j'ai toujours été rock, rebelle, mais je ne suis jamais tombée dans les pièges de ce milieu. J'ai beau avoir un look gothique, je ne me suis jamais reconnue dans le romantisme décadent et autodestructeur qui accompagnait cette musique : contrairement à ce que l'on croit souvent, je n'ai jamais été accro aux drogues ni à l'alcool. Je ne voulais pas mourir à 27 ans comme Brian Jones, Janis Joplin ou Jim Morrison... »

Quelle leçon de vie tirer de la mort de Janis ? Si la légende est plus belle que le réel, écrivez la légende ». Ok. Mais la longévité créative de Patti Smith invite « aussi » à imaginer ce qu’aurait pu devenir Janis…

5 La malédiction des 27 : Jimi Hendrix

La remarque de Madame Smith vaut pour tous les autres ici évoqués. Oui, les drogues ont sans nul doute sublimé leur talent, participé à les inscrire dans l’histoire mondiale de la musique populaire. Ok. Admettons que « peut-être » ils n’auraient-pas exprimé leur génie avec tant de puissance, sans l’aide des substances dont ils abusaient. Mais on connait l’antienne, « The show must go on », et ce n’est pas l’entourage de James Marshall Hendrix (né Johnny Allen Hendrix) qui dira le contraire. 

Le nombre d’albums sortis depuis sa mort, survenue le 18 septembre 1970, est vertigineux. Pas une chute de studio qui n’aura été recyclée. On a écrit que Jimi savait qu’il allait mourir avant l’âge de 28. Suggérant alors une sorte de fatalité, de destinée, plutôt qu’un sinistre accident... Wikipédia nous précise qu’il est mort asphyxié par son vomi, consécutif à un abus de barbituriques (Vesparax) lié à une prise d'alcool. Puis on y ajoute que James Tappy Wright, son ancien assistant, avança en 2009 qu'Hendrix aurait été assassiné par son manager Michael Jeffery, qui lui aurait fait ingurgiter de force pilules et alcool. Info ? Intox ? Fake ? N’y aurait-il pas là, tout de même, un peu de déni quant à la nature mortifère des addictions auxquelles Jimi, Jim et les autres, sacrifiaient tous abondamment ? S’il faut parler d’inconscient collectif, on peut noter ce refus de considérer ces morts pour ce qu’elles sont en réalité : des drames humains, auxquels ont nécessairement participé, bien malgré eux évidemment, les cohortes de fans.Et si ces rumeurs récurrentes d’assassinats n’étaient pas là d’abord, pour évacuer à bon compte la culpabilité collective ?  

On a dit aussi qu’Hendrix avait le projet d’enregistrer avec Miles Davis. De ces deux légendes, je préfère la seconde; imaginer ce qu’aurait pu offrir la rencontre au sommet de ces deux authentiques génies. La version apocalyptique de l’hymne américain dérivant à Woodstock vers une évocation des bombes déversées sur le Vietnam, n’était-elle pas une belle préface pour ce qui aurait pu dériver vers un « free rock » comme existait en ces temps « un free-jazz », repoussant les limites de la création ?

6 La malédiction des 27 : Alan Wilson

Peut-être le moins connu des membres de ce fichu groupe, du moins du grand public. Il était l’harmoniciste du groupe de rock blues américain Canned Heat, collectionneur obsessionnel de disques de blues, authentique musicologue, présenté par le grand John Lee Hooker, (qui enregistra avec eux un album de légende), comme « le plus grand harmoniciste vivant ».

Si ce ne sont pas les drogues qui l’ont tué, mais un mélange dément d’alcool et barbituriques, Wilson était malgré le succès mondial de son groupe beaucoup plus qu’un angoissé standard : un authentique dépressif suicidaire, jusqu’à le conduire à un internement en établissement spécialisé. On le retrouva mort dans un sac de couchage au milieu d’un bois. Suicide ou overdose… On retrouve comme chez Winehouse cette incapacité de l’être à puiser dans la reconnaissance des autres, dans leur regard (ou leurs oreilles, en l’occurrence), une motivation suffisante pour continuer de vivre.

Pour la dimension symbolique, on précisa donc que cet écologiste fervent était mort au milieu de la nature qu’il aimait tant. Là encore, constater qu’à chacun de ces décès, il convient d’ajouter un addendum supposé le magnifier, lui donner sens. 

Le storytelling, un autre de ces opiums dont nous, public, semblons raffoler... 

7 La malédiction des 27 : Brian Jones

Pourquoi, de cette période où Brian Jones était le cinquième Rolling Stone, retenir ce clip-ci ? D’une part parce qu’il boucle l’article, commencé avec Back To Black, il se termine en noir également. Parce qu’il permet de revoir Brian Jones dans sa différence, seul assis, et jouant non pas la deuxième guitare, mais du sitar, influencé là par George Harrison qui l’avait déjà inséré dans le morceau Norvegian Wood (album Rubber Soul), et y reviendrait volontiers par la suite. 

Pour certains, Brian Jones était, ne serait-ce que par sa blondeur et sa coiffure, la véritable icône du groupe, davantage même que Jagger… Bill Wyman, le bassiste historique, le décrivait comme le cerveau du groupe, mais qui se fit peu à peu reléguer au second plan par le duo Jagger-Richards, puis gâcha son talent, avant d’être viré. Un boulet plus si créatif que cela, que Keith Richards égratigne à plusieurs reprises dans Life, son passionnant livre de souvenirs. 

Quelques jours après son « licenciement », Brian Jones, par ailleurs dépendant et asthmatique, était retrouvé noyé dans sa piscine, après avoir mélangé alcools et amphétamines… Là encore la théorie du meurtre a longtemps été évoquée, un homme aurait sur son lit de mort avoué l’avoir tué (le maçon qui rénovait sa maison) ce que confirme Anna Wohlin, petite amie de l’époque, dans un livre intitulé « The Murder of Brian Jones ».

"Ah, qu'est-ce tu veux, Il faut bien faire une fin", disait de son côté Jean Gabin, qui certes ne s'y entendait guère en musiques pop, mais à qui rien de ce qui est humain n'était étranger.

8 La malédiction continuera-t-elle?..

On pourrait en citer d’autres, par exemple le premier bassiste des Stooges, Dave Alexander. 

On conclurait en évoquant le journaliste Thierry Ardisson qui avait (en un sens, à juste titre) dénoncé en son temps une campagne de prévention affirmant « la drogue c’est de la merde ». Il justifiait sa critique en expliquant que la réalité est autrement complexe : les sensations qu’apportent les drogues sont, au départ, terriblement attractives : c’est précisément parce qu’elles le sont qu’il est facile d’y sombrer. D’où sa conclusion que ce slogan n’avait rien de convaincant, pour qui avait déjà mis le nez dedans. L’argument peut tenir. Disons alors que si ce n’en est pas, c’est pire. Aucun des sept membres de ce damné « club des 27 » n’était épargné par les addictions. Il est vrai qu’en ce milieu et à ces différentes époques, il était plus difficile de trouver UN artiste qui ne touchait à rien. On cite parfois Frank Zappa, qui était toutefois accro au café et au tabac, qu’il appelait « mon légume préféré ». Comme quoi, une intelligence redoutable ne met pas à l'abri d'exprimer parfois de vraies stupidités.

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