Le destin romanesque de Jacques Chirac en 7 points
C’est un Chirac que les moins de 30 ans ont du mal à connaître. Il n’était pas encore président… mais il avait déjà un destin.
Le regard sincère, les yeux presque humide, un sourire discret… Le jeune Chirac de cette photo aujourd’hui émouvante a l’air timide et bien élevé. C’est Florence qui le dit : "J'ai trouvé qu'il était séduisant, charmant et d'une générosité exceptionnelle, toujours prêt à aider autour de lui. Il se comportait surtout en parfait gentleman....Presque chaque jour, il arrivait avec un bouquet de fleurs, le plus souvent des fleurs champêtres car il n'avait pas assez d'argent pour m'offrir des roses".
Florence Herlihy, c’est la fiancée américaine de Jacques. Il rencontre cette jolie blonde avec des taches rousseur à la Nouvelle Orleans lors de son année sabbatique américaine en 1953. "Il embrassait divinement bien", se souvient la Louisianaise. Mais patatras, les parents s’opposent au mariage "Ma mère (était) littéralement horrifiée à l'idée d'avoir une bru américaine qui roule en décapotable", écrit-il dans ses mémoires. Florence va pleurer son amour perdu pendant trois longues années…et Jacques tombe dans l’escarcelle de Bernadette.
Mais que serait-il devenu, s’il n’avait pas obéi à sa mère ? Il y aurait de quoi écrire une belle uchronie romantique. Mais nous nous contenterons du destin romanesque d’un homme politique crâneur, roublard, fonceur, sympa et swag. La preuve par 7.
1 | 12 ans, le bon Dieu, mais pas sans confession |
Jacques Chirac a 12 ans et pas vraiment l’allure d’un premier communiant. « J’ai eu des difficultés avec la hiérarchie quand j’étais au lycée», avouera le futur président. « Asocial et solitaire, c’est une sorte d’indiscipliné pathologique », écrit Franz-Olivier Giesbert dans sa biographie (Chirac, une vie). FOG exagère comme toujours. Le jeune Jacquot s’est seulement fait envoyer du lycée pour avoir lancé des boulettes en papier sur un prof de géo. Tu parles d’une racaille.
2 | 18 ans, le matelot n’est plus puceau |
Ado, Jacques Chirac se découvre une passion pour l’orient, tendance extrême. Il achète des livres d’art avec son argent de poche, il fréquente le Musée Guimet, il aurait même songé à se convertir à l’hindouisme. On sait que cette passion pour l’Asie restera prégnante toute sa vie, même s’il s’en est longtemps caché : » J'ai soigneusement entretenu le quiproquo en laissant penser que je n'avais pas d'autres passions que les romans policiers et la musique militaire".
En 1950, il a le bac et avant de suivre un parcours fléché qui le mènera de Sciences po à l’Ena, après la bifurcation américaine, il pense qu’une "autre vie est possible". Alors, il s’engage comme matelot sur le Capitaine Saint-Martin, un navire charbonnier et vogue vers l’Algérie… où il perdra sa virginité. Il raconte cet épisode avec une sincérité désarmante dans ses mémoires : "Le 'bosco' [le maître d'équipage, ndlr] me demande si je suis puceau. Je lui réponds que oui. Alors on va arranger ça. Tu vas voir, me dit-il. C'était très gentil de sa part et il fallait bien le faire. Et il m'a emmené dans les fameux quartiers de la Casbah [à Alger, ndlr] où nous avons passé la nuit entière. Quand au matin, je suis redescendu vers le port, dans l'odeur de crésyl sur les trottoirs, d'anisette et de produits coloniaux, je n'étais plus le même homme."
Et une autre passion que celle des bouddhas et des sumos allait commencer…
3 | Le rebelle de 20 ans |
Ce type sur la photo est un drôle de coco. Etudiant à Sciences po, il fréquente Michel Rocard qui tente de l’encarter à la SFIO. Mais Chirac décline : « Son parti me paraît encore trop conservateur, si ce n'est réactionnaire (…). En bref, la SFIO, pour moi, n'est pas assez à gauche ».
Car le jeune Chirac a signé l’appel de Stockholm du Mouvement mondial des partisans de la paix (une filiale des communistes). Il a même vendu L'Humanité-Dimanche devant l'église Saint-Sulpice. "Ce qui m'a entraîné brièvement vers les communistes, c'est avant tout les idéaux pacifistes dont ils se réclamaient. Comme beaucoup de jeunes gens de ma génération, horrifiés par la tragédie d'Hiroshima, j'étais hostile à toute nouvelle utilisation de l'arme nucléaire."
Oui, c’est bien lui qui reprendra les essais nucléaires après son élection en 1995. Mais c’est aussi le Président qui va supprimer le service militaire... Va comprendre…
4 | Le Corrézien qui roule des mécaniques |
Clope au bec et cravate incongrue, on comprend que ce mécano du dimanche pose pour la photo. Mais Chirac aimait vraiment mettre les mains dans le cambouis. Il avait d’ailleurs trafiqué le moteur de son engin et se vantait de pousser la 403 à 170 km/h. Autre temps, autres mœurs…
En 1967, c’est au volant de sa Peugeot qu’il sillonne la Corrèze pendant la campagne législative. En mars, il est élu député dans une circonscription réputée imprenable. En mai, Pierre Juillet le présente à De Gaulle : « Il y a un type, là, qui peut être éventuellement utile ». Il devient secrétaire d’Etat à l’emploi à 34 ans et crée l’ANPE tout seul disent ses biographes…
5 | Le bulldozer de Pompidou |
L’année suivante, c’est mai 68 où il tient un rôle clef dans les négociations avec les syndicats. La légende, qu’il n’a pas démenti, raconte qu’il allait rencontrer la CGT un flingue dans la poche…
Mais l’ancien compagnon de route des cocos n’est pas pour autant en guerre contre la jeunesse en révolte : « Le désir de changement est naturel chez les jeunes, comme je m'efforce de le faire comprendre à mes collègues du gouvernement. Sans doute, au même âge, eussé-je rejoint les étudiants de 68. Comme eux, j'ai mal vécu mon époque et ressenti l'incompréhension des adultes."
Mais de fait, il n’a pas choisi le camp des barricades mais bien celui des lambris des palais républicains. Ministre de l'agriculture, puis de l'Intérieur, il est baptisé « le bulldozer » par Georges Pompidou. Une formule que relativisera perfidement Edouard Balladur: « C’est un travailleur appliqué, mais sans imagination ». Mouais. Il aura au moins l’intuition de miser sur le bon cheval pour la présidentielle suivante en rejoignant Giscard avec 43 députés et ministres gaullistes…
6 | Son meilleur ennemi |
L’un décide, l’autre exécute. Chirac, premier ministre de Giscard de 1974 à 1976, c’est un peu Fillon sous Sarko. Il n’est que le collaborateur d’un hyper président avant la lettre. VGE et son complexe de supériorité met son nez dans tous les dossiers, squatte les médias et méprise ostensiblement son premier ministre. Sauf que Chirac n’est pas Fillon et qu’il démissionnera avec fracas de son poste intenable au bout de deux ans.
Dans ses mémoires, Chirac taille un costard en règle au maitre du château : "J'ai très vite compris que dans son échelle des valeurs, il y avait lui-même, tout en haut, puis plus rien et enfin moi, très en dessous". Il dira aussi : "Un jour Giscard assurera avoir "jeté la rancune à la rivière. Mais ce jour-là, la rivière devait être à sec...".
7 | La conquête de Paris |
En 1977, Jacques Chirac devient le premier maire élu de la capitale… depuis 1793. C’est certainement pour ça qu’il pose, l’écharpe tricolore à la ceinture comme un élu révolutionnaire. La prise de Paris par Chirac est une épopée. La ville est promise au fade Giscardien Michel d’Ornano. Le gaulliste n’en fera qu’une bouchée à coup de tournée des commerçants, de poignées de mains dans les marchés, de quadrillage par les Auvergnats de Paris et de meetings anti giscardiens cinglants aux phrases grandiloquentes: «On a cherché à nous éliminer au profit d'un clan sans passé et sans droit. Nous n'avons pas poussé la politesse jusqu'à nous excuser du fait qu'on voulait notre mort.»
Suivront 18 années de règne pendant lesquelles Chirac cheffera sans complexe, construira des sanisettes, tentera les motocrottes, distribuera des HLM à ses affidés et embourgeoisera la capitale sans se douter que les bourgeois deviendront plus tard des bobos de gauche qui feront tomber ses héritiers...
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