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7 raisons de suivre les élections au Maroc

Décrypter Par Amanda Chapon 23 septembre 2016

7 raisons de suivre les élections au Maroc

Un leader islamiste et populiste à la fois : c'est au Maroc et pas ailleurs. 

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Les primaires de la droite vous dépriment ? La surenchère identitaire vous révulse, les débats sur l’islam en France vous ennuient ? Trump n’arrive plus à vous choquer ? Changez de décor et suivez les législatives, et la campagne électorale… au Maroc.

Alliances contre-nature, mercato politique de haute volée, interventions du palais et résultats complètement imprévisibles : c’est un feuilleton passionnant qui va se clore le 7 octobre prochain au Maroc. Ce jour-là, cinq ans après le Printemps arabe qui s’était soldé, dans le royaume chérifien, par une réforme de la Constitution et l’arrivée des islamistes du PJD au gouvernement, les Marocains sont appelés à voter pour choisir leurs députés.

Dernier rebondissement en date : dimanche 18 septembre, une manifestation contre le chef du gouvernement islamiste Abdelilah Benkirane a réuni plusieurs milliers de personnes à Casablanca, capitale économique du pays. Un évènement dont les organisateurs ne sont pas connus, mais qui était pourtant bien organisée, avec des banderoles et affiches imprimées et des manifestants amenés en car ou bus spécialement affrétés...

1 L’heure du bilan pour les islamistes

7 raisons de suivre les élections au Maroc

Depuis qu'il fréquente le  roi, le chef du gouvernement islamiste porte la cravate et sa barbe est plus courte...

C’était en 2011. Le printemps arabe accouchait au Maroc d’une réforme de la constitution et, dans la foulée, d’élections législatives anticipées. Celles-ci voyant la victoire indéniable du Parti islamiste de la Justice et du développement (PJD). 107 sièges, un record compte-tenu du mode de scrutin de liste, censé être une digue contre les raz-de-marée électoraux. « Il y a cinq ans, les enjeux étaient importants, pour la monarchie comme pour le PJD » se remémore le politologue et sociologue Youssef Belal. « Pour la monarchie,  il s’agissait de traverser les turbulences du Printemps arabe, pour le PJD, il fallait réussir la transition entre un mouvement religieux et une formation politique possédant la légitimité et l’assise d’un parti gouvernemental ». Les deux paris ont été relevés, estime le politologue, qui met en avant le bilan politique très positif du PJD : « il est devenu un parti clef du champ politique, en position de force pour les prochaines élections ». Les islamistes ont montré qu’ils pouvaient gouverner, et ils peuvent s’appuyer sur le charisme et la popularité de leur leader, Abdelilah Benkirane, actuel chef du gouvernement.

Si le bilan de ce dernier passe un peu au second plan ces derniers jours, il y a pourtant matière à débattre. Le gouvernement de Benkirane met en avant les importantes réformes qu’il a lancées. Ainsi, il a mis fin à la subvention directe des carburants avec la réforme de la Caisse de compensation, qui pesait extrêmement lourd sur le budget de l’Etat. « Il a aussi enclenché une très impopulaire réforme des retraites pour éviter une faillite, prévue à brève échéance, du système » remarque Youssef Belal. Socialement, il a mis en place des allocations pour les veuves et les femmes en situation précaire (divorcées, etc.), augmenté les bourses allouées aux étudiants.

Mais le gouvernement est critiqué sur le plan économique, notamment par le patronat marocain, qui lui reproche notamment le ralentissement de la croissance, ainsi que sur son échec à lancer certaines réformes structurelles, à ranimer une éducation nationale défaillante, ou à frapper un grand coup contre la corruption qui était pourtant son cheval de bataille lors des élections de 2011. « Mais nous n’avons pas fini nos réformes, la lutte contre la corruption est un travail de longue haleine » assure Abdelalziz Aftati, député islamiste.

2 Les alliances improbables sont une tradition nationale

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Salaheddine Mezouar (RNI), Abdelilah Benkirane (PJD), Mohand Laenser (MP) et Nabil Benabdellah (PPS) : un libéral, un islamiste, un autre libéral et un néo communiste : un pour tous... 

DR

Oubliez l’opposition droite/gauche, la carte politique marocaine –qui comprend une trentaine de partis– est aussi mouvante que les alliances dans Game of Thrones. La coalition au pouvoir depuis 2012 est hétéroclite, et c'est le moins qu'on puisse dire : en plus d’une alliance qui semble pourtant contre-nature entre les islamistes (PJD) et les socialistes du PPS (parti héritier du Part communiste !), il faut ajouter la participation du RNI, ancien « parti de l’Administration » fondé par un proche de Hassan II.

Ces mariages de convenance ne durent souvent qu’un temps, les revirements et trahisons ne sont pas rares. L’Istiqlal, parti nationaliste et conservateur, dont la création remonte à la lutte pour l’indépendance, a d’abord fait partie de la coalition gouvernementale en 2012, avant de la quitter un an plus tard, et d’en devenir l’un des plus détracteurs les plus virulents. Quant au RNI, toujours au sein de la majorité gouvernementale, il se désolidarise avec constance de son allié islamiste depuis les élections de 2015, pendant lesquelles il a même aidé le principal parti d’opposition, le Parti authenticité et modernité (PAM), à remporter la présidence de deux régions…

A ces alliances surprenantes, les observateurs trouvent une explication logique : l’opportunisme, la volonté de se maintenir au gouvernement à tout prix. « Les socialistes du PPS n’ont remporté que 18 sièges de députés en 2011 ; pourtant, au sein de la coalition, ils raflent 5 ministères, dont l’urbanisme et la santé » remarque un journaliste. Nabil Benabdellah, secrétaire général du PPS et ministre de l’Habitat, explique de son côté que son parti a choisi l’alliance avec les islamistes parce que s’ils ne partagent pas les mêmes valeurs, ils partagent un même « attachement à la démocratie [contre] ceux qui souhaitent asservir le champ politique et économique».

3 C'est un duel entre deux Maroc

7 raisons de suivre les élections au Maroc

Le PAM tranche dans sa com politique comme pendant les municipales de 2009 où il présentait une charmante PAM PAM girl chevauchant le symbole du parti : le tracteur. 

Brahim Taougar

Cette dernière phrase de Benabdellah  est une allusion à peine voilée au PAM, jeune formation (centre gauche), née de la fusion, en 2008, de plusieurs petits partis, sur l’impulsion de Fouad Ali El Himma, ancien camarade de classe de Mohammed VI, pour contrer les islamistes. Et si, lors des dernières élections communales (2015) le PJD rafle les grandes villes (notamment Rabat, Casablanca, Marrakech, Tanger, Fès…) et arrive premier en nombre de voix, le PAM est le premier en nombre de conseillers communaux (6 655) grâce au vote rural, et de présidents de région (5 sur 12), grâce aussi à des alliances.

A première vue, le duel s’annonce donc entre deux projets de société. Avec, d’une part, un PAM ambitieux sur le volet économique et qui promet,  dans son programme électoral « socio-libéral » en plus de relever la croissance, de poursuivre la réforme de la Caisse de compensation, en mettant notamment fin aux subventions du gaz butane et du sucre qui grèvent le budget de l’Etat. Surtout, la formation menée par Ilyas Elomari, ancien militant de la gauche radicale, se veut progressiste sur le volet des libertés individuelles. Le point faible du conservateur PJD qui tient à ce que l’interdiction des relations sexuelles hors mariage ou de la consommation d’alcool pour les musulmans soient maintenus dans le Code pénal. Le PAM propose aussi la légalisation de la culture du cannabis (à laquelle s’oppose le PJD) et promet de mettre fin à la censure et d’œuvrer pour une société paritaire, en revoyant par exemple le Code de la nationalité pour « permettre aux épouses marocaines de transmettre leur nationalité à leurs époux étrangers ».

Cependant, pour Abdellah Tourabi, chercheur et journaliste politique, l’opposition est plus traditionnelle. « On est en train de revenir à une situation classique dans l’histoire contemporaine du Maroc : d’un côté un parti soutenu par l’Etat, incluant beaucoup de notables, de l’autre, un parti à forte connotation idéologique. Sous Hassan II, il s’agissait de partis comme le nationaliste Istiqlal ou l’UNFP (gauche), aujourd’hui c’est le PJD. 

4 On découvre le mystérieux « tahakoum »

7 raisons de suivre les élections au Maroc

Couverture de l'hebdomadaire marocain TelQuel qui illustre bien le sentiment général...

Mais pour le PJD et ses alliés, pas de doute, le PAM est un parti « piloté », notamment par Fouad Ali El Himma, qui a quitté ses fonctions au sein du parti en 2011, pour être ensuite nommé conseiller du roi. Et si les Pamistes accusent souvent les islamistes d’appartenir à l'organisation internationale des Frères Musulmans, les Pjidistes et leurs alliés PPS dénoncent en retour le rôle du PAM dans le mystérieux « tahakoum ». « C’est l’instrument par excellence du tahakoum » assure Abdelaziz Aftati, député du PJD.

Le tahakoum, en arabe, signifie « autoritarisme,  domination ». « C’est le contrôle de la société et de ses institutions par des lobbies » explique encore le député islamiste, qui dénonce des parties « dans l’ombre, qui cherchent à miner le travail de l’Etat. » Et de préciser : « c’est ce qu’on appelle “l’Etat profond” ». En filigrane, les islamistes et leurs alliés désignent par ce terme l’ingérence du « palais » dans la vie politique. Et le palais, c’est qui, exactement? Une sorte de «boîte noire » qui englobe l’entourage royal, le cabinet royal, mais aussi le ministère de l’Intérieur, souvent surnommé « la mère des ministères » pour son rôle central.

L’utilisation du tahakoum par le PJD et son allié le PPS a d’abord été critiquée par les partis de l’opposition et par certains observateurs, comme l’épouvantail d’une rhétorique électoraliste et le moyen de détourner l’attention des Marocains du bilan du gouvernement. Mais les « évènements invraisemblables et imprévisibles », selon les mots d’Abdellah Tourabi, qui s’enchaînent depuis le début du mois de septembre, semblent démontrer une ingérence réelle du palais.

5 Un Palais très intrusif...

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La manif  "spontanée" du 18 septembre dernier à Casablanca. 

Tout a commencé le 13 septembre par un communiqué du cabinet royal, recadrant sans ambages le ministre de l’Habitat et secrétaire général du PPS, Nabil Benabdellah. « La fin du texte est un appel à peine voilé au limogeage du leader par son parti. En d’autre temps, il aurait démissionné ou aurait été évincé » analyse le chercheur. Ce qui est reproché à l’allié des islamistes ? Une interview dans un journal arabophone dans laquelle il avait accusé les fondateurs du PAM (faisant ainsi allusion au conseiller du roi Fouad Ali El Himma) de diriger dans l’ombre le parti et de « personnifier le tahakoum ».

Trois jours plus tard, la candidature aux législatives de Hammad Kabbadj, prédicateur salafiste qui avait été choisi quelques semaines plus tôt par le PJD pour le représenter à Marrakech, est invalidée par le ministère de l’Intérieur. Ce dernier invoque ses « déclarations contraires aux principes démocratiques [et la propagation] d’idées extrémistes appelant à la haine et à la violence ». Nombreux sont les observateurs qui trouvent la décision justifiée, en s’appuyant notamment sur des déclarations antisémites de Hammad Kabbadj. 

Pourtant, « Kabbadj n’a jamais été condamné » précise Abdellah Tourabi qui souligne qu’en 2011, des salafistes avaient déjà été candidats aux élections, plusieurs ayant été élus. Certains avaient même fait de la prison, auparavant, pour leur implication dans les attentats terroristes de 2003 à Casablanca. Et de demander : « où est la cohérence dans tout ça ? On ferme la porte aux radicaux au lieu de les inciter à suivre les règles démocratiques ».

Mais l’événement qui a le plus fait couler d’encre est une mystérieuse manifestation organisée à Casablanca dimanche 18 septembre, suite à l’appel, deux jours plus tôt, à marcher contre « l’obscurantisme et l’islamisation de la société ». Plusieurs milliers de personnes ont participé à cette marche qui s’est avérée être une manifestation contre le PJD et son leader Abdelilah Benkirane. Une manifestation dont les organisateurs sont restés inconnus, alors même que beaucoup des participants avaient été acheminés par bus et car spéciaux, qu’ils brandissaient des banderoles et affiches impeccablement imprimées, et que nombre d’entre eux semblaient carrément ignorer les raisons de leur présence

« Une mascarade » dénonce le député Abdelaziz Aftati qui y voit « sans nul doute la main du tahakoum ». Une opinion majoritairement partagée, sinon par les médias, du moins sur les réseaux sociaux.

6 C'est le royaume du mercato politique

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Lahcen Haddad n'est pas testeur chez Epéda mais ministre  du tourisme.  Et il s'est trouvé un nouveau parti dans l'opposition sans quitter son marroquin...

Mohamed Reda

En cette période pré-électorale, au Maroc, la transhumance politique bat son plein, et elle a de quoi faire pâlir le mercato de cet été. C’est ainsi que l’on voit un ministre en exercice, Lahcen Haddad (Tourisme) quitter son parti (le MP) et annoncer rejoindre un parti de l’opposition (l’Istiqlal). Un peu comme si Macron gardait son ministère mais adhérait directement aux Républicains... 

Afin de renforcer leurs équipes, les islamistes du PJD ratissent large, n’ayant pas peur –d’essayer- de recruter des personnalités de gauche (même s’ils s’y cassent parfois les dents), des hommes d’affaires ou des salafistes (comme avec le prédicateur Hammad Kabbadj tête de liste) à Marrakech. On débauche même chez « l’ennemi juré », le PAM : le PJD a ainsi rallié un de ses ex membres fondateurs, qui devrait se présenter dans une ville (Al Hoceima) située en plein « fief » du secrétaire général du PAM, Ilyas Elomari.

Cette dernière formation n’est pas en reste. « Le PAM a fait un mercato exceptionnel » commente Abdellah Tourabi, « il a siphonné tous les partis ». Et d’ajouter : « C’est un peu le PSG de la vie politique marocaine, il est en train de recruter massivement des notables qui ont de grandes chances de remporter les élections dans les circonscriptions où ils se présentent… » Il chasse lui aussi sur les terres de son rival, ayant ainsi recruté une trentaine d’anciens membres du PJD à Fès et Marrakech.

7 Les résultats sont imprévisibles...

7 raisons de suivre les élections au Maroc

Non, ce n'est pas un album de bons points ou une collection mais les logos très figuratifs des partis politiques marocains.

Pour le politologue Youssef Belal, les interventions du Palais s’expliquent par une volonté d’éviter une victoire trop importante des islamistes. « Il ne s’agit pas de les contrer mais d’essayer de limiter leur succès, ce qui est un peu peine perdue». Il semble en effet très improbable que les islamistes perdent les législatives.

L’inconnue, c’est l’étendue de leur victoire. Surtout que les sondages d’opinion sont interdits depuis la fin du mois d’août dernier, et ce jusqu’aux échéances électorales. Va-t-on assister à une nouvelle déferlante ou bien sera-t-elle jugulée par un succès du PAM qui confirmerait ainsi les bons résultats (dans les campagnes, du moins) obtenus aux dernières communales ?

« Quelque chose d’exceptionnel dans l’histoire du Maroc est en train de se produire. Le résultat de ces élections est totalement imprévisible. Personne, ni l’Etat, ni les partis, ni les analystes ou commentateurs n’ont une idée précise des résultats » se réjouit Abdellah Tourabi, qui estime que c’est grâce au « processus abordé en 2011 ». En cas de raz-de-marée islamiste, « le PJD sera en position de force pour négocier et composer le gouvernement et Benkirane pourra même imposer sa candidature pour un second mandat de chef de gouvernement [selon la constitution de 2011 le souverain « nomme le chef du gouvernement au sein du parti arrivé en tête des élections, et au vu des résultats]» ajoute le politologue. Finalement, ne serait-ce pas le caractère imprévisible de ce scrutin qui expliquerait les interventions invraisemblables des derniers jours ? Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’un test pour le Maroc « post Printemps arabe » : est-ce qu’il s’inscrit dans l’élan de démocratisation de 2011, ou bien est-ce un retour en arrière ?

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