Equipe de France de Football : 1 liste et 7 questions
Jeudi soir, au lendemain de la (cruelle, mais néanmoins prévisible) défaite de l’Olympique de Marseille en finale de Ligue Europa, le sélectionneur Didier Deschamps a présenté « LA » liste que tout le monde attendait… Celle des 23 qui devraient - sauf blessure funeste- représenter notre pays à cette Coupe du Monde imminente. Et comme toute liste, celle-ci pose des questions...
Une chose est certaine : Didier Deschamps est à ce jour le seul français à avoir soulevé, comme capitaine, ET la Coupe aux grandes oreilles (Marseille, 1993), ET la Coupe du Monde (Équipe de France, 1998) ET celle d’Europe des Nations (Équipe de France, 2000). Comme entraîneur, il a conduit Monaco en finale de Ligue des Champions (2003-2004), et la France en finale de l’Euro 2016. Certes, ces deux campagnes se conclurent sur deux défaites, mais aucun coach français n’a ce bilan. On peut donc faire confiance à « Dédé », il sait ce qu’il fait. Il n’empêche. Aux zincs des bistrots, aux micros des radios, sur les plateaux de télé, aux machines à cafés, dans les foyers de lycées, tout un chacun commente, donne son avis, émet sa petite critique, exprime ses doutes, prend des paris. Au bout du compte, personne n’a de réponse assurée à aucune des sept questions qui suivent ? « Aucune » ? Il y en a au moins une qui nous parait totalement hors-sujet. Pour les six autres, les débats sont ouverts. Mais pour tout dire, sur la question « Sept » (comme le numéro qu’il portait, étant joueur), on n’a pas le moindre doute
1 | Le manque global d'expérience est-il un risque ? |
On a souvent entendu ce grand philosophe du ballon rond, Eugène Saccomano, citer le grand Bernard Blier, lequel affirmait que « L'expérience est un peigne que vous donne la vie quand vous êtes devenu chauve ». C’est probablement vrai dans de très nombreux domaines de l’existence (l’amour, la sagesse, l’argent). Il n’est pas certain que l’argument soit suffisant, à l’heure d’aborder une compétition mondiale, pour éteindre les feux du débat. Dans la liste des 23 joueurs retenus par Didier Deschamps, 9 comptent 10 sélections ou moins. Ils vont certes se muscler un peu avec les trois matchs de préparation : contre l’Irlande (28 mai), l’Italie (1er juin) et les USA (9 juin), les moins « capés » que sont l’arrière central Presnel Kimpembé, ou l’ailier Florian Thauvin, devraient gonfler un peu leur CV. Seront-ils assez pourvus, quand la compète sera venue ? Voilà probablement la « vraie » question que posent les choix du Coach. D’autant que deux latéraux (Sidibé et Mendy) reviennent tout juste de blessures. Encore ce dernier vient-il d’assurer qu’il se sent prêt, qu’il a énormément travaillé pour l’être. Quoi qu’il en soit de (très) bons joueurs comme N’Zonzi, Hernandez ou Pavard ne sont pas beaucoup plus expérimentés ; et étonnamment, Lucas Digne n’a pas été retenu, alors qu’il avait joué plusieurs des derniers matchs. Il y a donc bien un pari pris. Pari raisonnable, et raisonné, sans doute. Mais pari tout de même.
2 | La défense tiendra-t-elle bon ? |
On peut ne pas avoir toujours savouré les matchs de l’EdF, période Aimé Jacquet. À titre personnel, je m’y ennuyais ferme la plupart du temps, je pris beaucoup plus de plaisir avec celle de l’an 2000. Au moins pouvait-on lui reconnaitre d’avoir composé une défense imperméable. Thuram et Lizarazu sur les côtés, Blanc et Desailly au centre, l’un ou l’autre suppléé par Leboeuf… On n’a jamais fait mieux. Et jusqu’à preuve du contraire, s’ils sont bons dans leur club, Varane (Réal Madrid) et Umtiti (Barcelone) le sont aussi (les méchantes langues disent « surtout ») parce qu’ils ont deux monstres à leurs côtés (Ramos pour le premier, Piqué pour le second). On ne peut pas dire qu’en Bleu leur entente ait jusqu’à ce jour apporté les garanties espérées. L’absence de Koscielny (voir ci-dessous) n’arrange pas les affaires de Mr D.D., qui pourra toutefois compter sur un Adil Rami « revanchard », comme on dit dans les gazettes…. Il pourra aussi donner un peu de temps de jeu à Kimpebe (voir ci-dessus), qui à ce stade risque d’apparaitre un peu tendre…
3 | Certaines absences vont-elles peser ? |
Laurent Koscielny n’est probablement pas le meilleur défenseur du monde ; au moins était-il expérimenté, habitué des grandes compétitions. Mais le 3 mai, dans un match contre l'Atlético de Madrid, demi-finale retour de Ligue Europa, il quittait le terrain effondré : rupture du tendon d'Achille. Dimitri Payet n’est certainement pas le meilleur attaquant du monde ; au moins était-il expérimenté, habitué des grandes compétitions. Mais le 16 mai, dans un match contre l'Atlético de Madrid, finale de Ligue Europa, il sortait en larmes : touché à la cuisse droite, il comprenait aussitôt que ses rêves de Russie venaient de s’envoler. L’Équipe, avec un sens achevé de la formule, notera que depuis « des semaines il brillait de mille feux ». « Qu’il était redevenu la locomotive offensive de l'OM au meilleur moment ». Il faudra faire sans ces deux-là, qui étaient de la Campagne de France 2016, et s’y étaient solidement comportés
4 | Fallait-il ou non appeler Benzema ? |
En 2016, nous écrivions déjà que, quoi qu’on pût en penser, il ne fallait pas imaginer l’avant-centre madrilène revenir dans l’équipe de Deschamps. Le débat n’ayant depuis jamais cessé, il est forcément revenu à l’heure d’examiner la liste des heureux retenus. Le rappeur Booba, ami du joueur, s’est ému de cette non-sélection, écrivant ce libelle sur Instagram : « donc ils ne t'ont pas pris... Innocenté dans l'affaire Valbuena mais ils ne t'ont pas pris... Tu es dans le top 5 des meilleurs joueurs Français mais ils ne t'ont pas pris... Sans aucune raison valable ils ne t'ont pas pris... Accusé à tort ils ne t'ont pas pris... Zidane doit se gratter le scalp car ils ne t'ont pas pris... Il sait au fond de lui pourquoi ils ne t'ont pas pris... Et moi aussi et vous aussi... One two three ils ne t'ont pas pris... Au moins tu es resté toi-même et ça, ça n'a pas de prix». Le message a été liké près de 300.000 fois, a déclenché plus de 7000 commentaires. Est-ce la preuve d’une discrimination raciale (lire point 7) ? Ou la simple confirmation que Didier Deschamps, fidèle en cela à la philosophie de « son Maître » Aimé Jacquet, privilégiera toujours sa vision du collectif aux individualités ? Longtemps, on fustigea « Mémé », qui s’obstinait à ne sélectionner ni Éric Cantona, ni David Ginola, lesquels comptaient pourtant parmi les deux plus grandes stars du Championnat d’Angleterre. Envers et contre toute critique, Jacquet tint bon. Et au soir du 12 juillet 98, on ne trouva plus personne en ville pour contester ses choix…
5 | Devant, seront-ils à la hauteur ? |
S’il y a UNE question clé, c’est bien celle-ci. Mais s’il en est UNE à laquelle personne ne peut répondre à ce stade (de Moscou), c’est également celle-ci. Aucun spécialiste de football, si compétent soit-il, ne peut apporter de réponse sérieuse à ce type de question. D’une part parce qu’une équipe ne se résume pas à ses attaquants : la France emporta l’édition 98 avec un avant-centre, Guivarc’h, qui n’inscrivit pas le moindre but. D’autre part, parce que personne n’a de boule de cristal, et que comme le répétait sans relâche un jeune Michel Drucker durant la vieille Coupe du Monde 70 : « le football n’est pas une science exacte ». Les journalistes-polémistes de foot sont une espèce passionnante : sur tout sujet, ils peuvent tenir un quart d’heure en s’opposant, « haut et fort » même et surtout lorsque où ils n’ont pas l’ombre d’un élément de raison solide à faire valoir. Thauvin sera-t-il ou pas décisif ? MBappé va-t-il exploser comme tout le monde l’annonce ? Dembélé sera-t-il LA révélation et Griezmann est-il promis au Ballon d’Or ? Gardons en mémoire l’épopée 2002, qui se termina en Bérézina. Nous comptions dans nos rangs un « meilleur joueur du Monde » (Zidane) et les trois meilleurs buteurs de trois grands championnats européens (Trézéguet, Cissé, Henry). On repartit cette année-là battus, honteux et confus, sans avoir en trois matchs planté le moindre but.
6 | Peut-on sérieusement espérer la victoire finale ? |
Il n’est jamais interdit d’espérer. C’est même fortement conseillé. Mais à l’évidence, la France ne figure pas dans le trio des favoris. Ce seront de l’avis quasi général (dans le désordre) l’Allemagne tenante du titre, l’Espagne, couronnée en 2010, et le Brésil, bien remis de la claque reçue en 2014, lors de cette humiliante et totalement imprévisible raclée, 7 buts à 1 en quart de finale, et sur ses terres, de surcroît… Placer la France au même rang que ces trois-là revient à se voir « plus beau » qu’on ne l’est réellement. En revanche, nous serons, oui, des « outsiders », avec quelques autres équipes comme la Belgique, l’Argentine, le Portugal (championne d’Europe en titre) ou l’Uruguay. La France a toujours besoin d’en revenir à cette bonne vieille blague belge : « si tu veux faire une bonne affaire, achète un Français au prix qu’il vaut ; et revends-le au prix qu’il croit valoir ». À bon entendeur !...
7 | Peut-on taxer Didier Deschamps de "racisme" ? |
Sérieusement… Comment peut-on oser pareille question ? Parce que le sélectionneur ne sélectionne pas Karim Benzema, il faudrait en déduire qu’il le fait au regard de ses origines maghrébines ? Et Nabil Fékir, Adil Rami, ils viennent de familles suédoises ? Et Mandanda, Matuidi, Pogba, Mendy, Sidibé, Kanté, Umtiti, Dombélé, ils ne sont pas enfants d’Africains, parfois nés eux-mêmes en Afrique ? Et Varane, Aréola, MBappé, Tolisso, Lémar, ils ne sont pas un brin métissés ? Et se voir contraint à citer tous ces noms pour contrer une aussi absurde accusation, n’est-ce pas déjà désolant ? Sur un terrain, un joueur avait un jour lancé à Raymond Domenech, qui le racontait au magazine France-Football : « Hé coach, vous avez vu ? On est 11 noirs sur le terrain ! » Domenech avait rétorqué : « je ne vois que du Bleu ». A 1000 contre 1, on prend le pari que Didier Deschamps, dont un de ses meilleurs amis fut (et demeure peut-être, on n’a pas d’info sur ce sujet) Marcel Desailly, ne voit la vie qu’en Bleu. Poser la question serait déjà se placer dans un registre d’insulte. Fermons le ban. Et « Allez les Bleus ! ». Les Bleus Clairs, et les Bleus foncés !
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