7 janvier : Ils étaient, sont et seront toujours Charlie
Cela fait aujourd’hui quatre ans. Sans donner dans la « commémo », la date du 7 janvier 2015 doit demeurer présente dans nos esprits, comme toutes les autres où le fanatisme tue.
Il les connaissait tous, puisqu’il était - et reste - le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Il aurait pu compter au nombre des victimes. Les circonstances l’ont épargné. Nous avons demandé à Gérard Biard de nous dire, tout simplement, ce qu’il conserve en mémoire de ses collègues, complices, camarades frappés ce sombre mercredi matin-là, au 10 de la rue Nicolas-Appert.
Lorsqu’il les évoque, ce sont les rires qui l’emportent. Mais ces rires n’effacent en rien « la colère », toujours intacte.
Ce sont des rires d’affection où s’entendent également beaucoup de pudeur et de respect. Des rires qui les évoquent… « au présent ».
Un grand merci pour cela, cher Gérard… Et longue vie à Charlie, en ce début 2019. A découvrir également sur 7x7 l'interview de Gérard Biard sur Charlie Hebdo en 2019.
1 | Ils étaient Charlie : Cabu, Dessinateur |
La première image qui me vient de Cabu : celle d’un homme en train de se marrer. Et qui plus est, toujours content, heureux, de dessiner. Jamais je ne l’ai entendu dire merde, il faut que je ponde un truc… C’est aussi quelqu’un qui ne sait pas dire non. Il va croiser quelqu’un dans la rue qui lui demande de faire je ne sais quelle carte d’anniversaire pour une grand-mère… Et il va accepter ! La toute première fois que je l’ai rencontré c’était dans un genre de convention BD, j’étais bien loin de penser que je travaillerais un jour à Charlie… je lui ai demandé de me dessiner un petit mongolien, il a ri, ok super, on le fait….
Avec Wolinski, et Willem qui est toujours là, Cabu reste cet autre pilier du Charlie première époque, celle qui couvrit les années 70, jusqu’à 1981. Lui associer l’image du Grand Duduche, éternel ado rêveur ? Oui et non : Oui, car il n’est JAMAIS blasé, il a en lui cette fraîcheur enthousiaste… Mais en réalité, sur tous les sujets qui le passionnent, il a des convictions solides, mais surtout très argumentées. Cabu, n’est ni un idéaliste, ni un exalté, comme on pourrait parfois le croire…"
2 | Ils étaient Charlie : Elsa Cayat, Psychanalyste et Chroniqueuse |
Elsa est psy… Et chroniqueuse pour Charlie, où elle a tenu la chronique « Charlie Divan ». Un autre psy a depuis pris sa place, qui d’ailleurs est ami avec elle.
Elsa déclenche mes rires chaque fois que je pense à elle ! La première fois que je l’ai rencontrée ma première réaction fut « elle est probablement plus cinglée encore que ses patients » ! Une femme complètement givrée (NdR : propos tenus dans un grand rire plein de tendresse, s’il faut préciser).
Elsa, c’était un personnage ! Je ne l’imaginais pas « capable de se taire ». Je ne sais pas comment faisaient ses patients pour en placer une, durant les séances ! Je l’imagine les engueulant, c’est quelqu’un qui ne peut pas se contenter de « parler ». Elle a toujours en elle cette exubérance… En plus, c’est une grande fumeuse… ce qui donne une touche supplémentaire à son timbre de voix !
3 | Ils étaient Charlie : Charb, Dessinateur et Directeur de la publication |
Plein de mots pourraient décrire Charb, y compris dans ses paradoxes ! Charb est un provocateur né. Et son génie du dessin, c’est d’avoir toujours en tête l’aspect dérisoire des événements. J’ai le souvenir d’une « Une » fantastique, lors de cette prise d’otage à l’école maternelle de Neuilly, en 1993. Il dessine un flic armé jusqu’aux dents, le preneur d’otages abattu, et juste dans un coin… insolite, incongru… Un petit ours en peluche.
Parfois Cabu sait faire des dessins « glaçants », « cruels ». Avec Charb, il y a toujours ce côté drôle, dérisoire, qui l’emporte. Au fil du temps, son trait a fait de lui un portraitiste génial, il parvient à révéler dans chaque dessin le caractère profond de la personne…
On peut dire que de nous tous, Charb est le plus « radical ». Il a toujours soutenu le PC, la CGT. Je l’ai souvent chambré sur ce côté « stalinien ». Il en joue volontiers, d’ailleurs… Ce côté militant, il le partage avec Tignous…
4 | Ils étaient Charlie : Philippe Honoré, Dessinateur |
Si de tous les dessinateurs de Charlie, Honoré est peut-être le moins connu, c’est aussi parce qu’il est le plus discret. Honoré ne dessine pas des caricatures, ou des « crobars ». Il n’est pas un dessinateur de reportage : il lui faut sa table à dessin, et le temps nécessaire. Ses dessins ressemblent à des gravures. Il est probablement le plus « artiste » de tous, dans sa démarche. Il a travaillé pour de nombreux organes de presse autres que Charlie ; ses dessins ont toujours cette patine extrêmement personnelle.
Et comme il aborde des sujets très actuels, très modernes, avec un style qui pourrait paraître désuet, presque vieillot, ce regard offre un contraste toujours saisissant. D’autant que s’il est discret, Honoré est aussi quelqu’un de très engagé.
5 | Ils étaient Charlie : Bernard Maris, Economiste et Chroniqueur |
Pour moi, Oncle Bernard est un peu comme Cabu. Quelqu’un de toujours enthousiaste, jamais blasé. Je le revois écrivant ses chroniques, il disait « encore une chronique sur l’économie, toujours pareil… », mais il se mettait à écrire et aussitôt il retrouvait la banane.
Je le voyais devant son écran, qui se marrait en écrivant son sujet. De plus en plus, il était attiré par la littérature. Il a d’ailleurs écrit trois romans, et il tenait à avoir une chronique littéraire dans Charlie. Il a été l’un des premiers fans de Houellebecq, dont il admirait le style et qu’il connaissait bien.
6 | Ils étaient Charlie : Tignous, Dessinateur |
Tignous, c’est le dessinateur militant. Il est le plus « engagé », peut-être même plus que Charb, qui sait aussi faire rire des gens qu’il soutient. Tignous, en occitan, c’est « petite teigne », un surnom que lui avait, dit-on, trouvé sa grand-mère. Pourtant, j’ai peu de souvenir de l’avoir vu en colère, il est plutôt rigolard et de bonne humeur ; même si c’est vrai que de temps en temps, on sent qu’il ne faut pas trop le faire chier…
Il dessine pour Charlie, aussi pour de nombreux autres publications (aussi différentes que La Croix, L’Humanité, Marianne ou Télérama). Mais il fait aussi plein de dessins pour le PC, des associations, par exemple le DAL. Il a toujours été très proche de la Mairie de Montreuil, qui d’ailleurs a rebaptisé de son nom son Centre d’Art Contemporain.
7 | Ils étaient Charlie : Georges Wolinski, Dessinateur |
Le mot qui pour moi résume Wolinski, c’est « mélancolie ». C’est ce que j’adore chez lui. À mesure qu’il avance en âge, on voit dans ses dessins quelque chose du temps qui passe… On lui a assez souvent reproché de dessiner « trop », pour trop de monde. On lui a reproché de faire de la pub, alors que Charlie et Hara-Kiri rappelaient toujours que « la pub est con, la pub nous rend con, la pub nous prend pour des cons ».…
Une fois dans un dîner quelqu’un lui fait ce reproche, et sa réponse fuse dans un soupir : « J’ai trop d’amis… »
Pour moi, Georges est comme cela… Un personnage de la comédie italienne… « Doux amer ».
8 | Ils étaient Charlie : Mustapha Ourrad et les autres ... |
Il était le correcteur de Charlie Hebdo… Inconnu sans doute de la plupart de nos lecteurs, il y était indispensable. Et chaque fois que certains ont fait à Charlie l’imbécile procès de racisme, surtout à l’étranger où les dessins n’étaient pas toujours compris, Gérard Biard répond toujours, en un sourire : « Vous savez, à Charlie celui qui corrigeait nos fautes de français, c’était Mustapha. Un kabyle. Un arabe ! Mustapha est un homme très érudit, discret, effacé ; mais attentif à tous nos écrits. Un membre de l’équipe à part entière, évidemment… Je l’aimais beaucoup », termine Gérard.
Nous rappelons qu’ont aussi été fauchés ce sombre mercredi 7 janvier 2015, Ahmed Merabet, gardien de la paix, qui passait là, avenue Richard Lenoir ; Franck Brinsolaro, policier en charge de la protection de Charb ; Michel Renaud, venu de Clermont-Ferrand pour restituer à Cabu des dessins qu’il lui avait empruntés, et à ce titre « convié » à la conférence de rédaction ; et Frédéric Boisseau, salarié du groupe Sodexho, venu pour son travail, qui fut la première victime de la tuerie.
Et pour en savoir plus, il nous semble que la page consacrée par Wikipédia à l’attentat résume convenablement les faits.
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