Valls ou Macron : mais qui est le plus à droite ?
Les deux Manu ont squatté le même espace tout en se démarquant mutuellement, l’un de l’autre. Car en fait, ils ne sont pas du tout pareil, mais alors pas du tout. Alors que Macron quitte le gouvernement Valls, c'est le moment de réviser vos classiques.
"Je suis de gauche" a tenu à affirmer Emmanuel Macron le 12 juillet 2016 dans son premier meeting politique à la Mutu, une salle mythique... de la gauche. Vraiment ? Le Brutus de Hollande a ensuite pris soin de préciser : "C'est mon histoire, c'est sa famille". Mais la famille, on ne la choisit pas ; et son histoire n'est pas forcément sa pensée. Car l'idéologie" macronienne développée lors de ce meeting fondateur, c'est de piocher à droite (la liberté) comme à gauche (l'égalité, la solidarité), les idées qui lui conviennent. Et au final, les repères sont brouillés et on a besoin de savoir dans quelle droite, il pioche ses références. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que sa droite est bien différente de celle qui inspire son principal rival, Manuel Valls.
Qui est le plus à droite des deux ? La question peut sembler anecdotique, incongrue voie inutile ; d’aucuns considèrent d’ailleurs qu’elle est déjà tranchée. Malls (ou Vacron) n’est ni social-révolutionnaire, ni social-démocrate mais social-libéral... Seules les personnalités et les stratégies différencieraient ces deux ambitieux.
C’est raisonner un peu vite et occulter, en passant, des aspects fondamentaux de leur personnalité, comme de leur stratégie. Car la source d’inspiration, probablement consciente, de ces deux impétrants, ce n’est pas forcément la gauche et ses trois familles ci-dessus citées. Dans une France qui a idéologiquement viré à droite PS compris (voir l’analyse assez bluffante d’Emanuel Todd dans Atlantico sur le « fascisme rose » des socialistes), ce n’est ni Robespierre, Jaurès ou Blum qui les inspirent… mais plutôt Guizot, le général Boulanger ou Bonaparte.
Quant à leur mentor, ce n’est pas Michel Rocard mais René Rémond, l’homme qui a théorisé les trois familles de droite, un concept intégré par des générations d’étudiants en Science po et en histoire contemporaine.
Pour ce grand historien politique, les droites françaises étaient enracinées au XIXe siècle et bégayaient au XXe siècle le même catéchisme. Pétain (ou Le Pen), c’est la droite légitimiste, contre révolutionnaire. De Gaulle (ou Sarko), c’est la droite bonapartiste, qui sait séduire le peuple à grands coups de mentons et de fantasmes sur la grandeur. Giscard (ou Barre ou Juppé), c’est la droite orléaniste, modérée, bourgeoise et libérale.
On peut passer de l’une à l’autre. Chirac fut bonapartiste avant de virer Orléaniste et de finir presque rad-soc. Mais ces trois droites n’avaient jamais, jusqu’à nos jours, impacté réellement la gauche au point de modeler deux de ses enfants qui s’inspirent aussi de référents étrangers. Et voici comment.
1 | Droite Orléaniste : Macron, louis-philippard |
Macron, c’est Guizot. L’un disait « enrichissez-vous » aux Français. L’autre incite les jeunes à se transformer en milliardaire. Il considère que les entrepreneurs sont plus à plaindre que les salariés et se sent plus à l’aise dans une start-up qu’au milieu d’une usine. Sa sortie face à un chômeur en tee-shirt à qui il répliquait "Vous n'allez me faire pleurer avec votre t-shirt, la meilleure façon de se payer un costard c'est de travailler" suintait le mépris de classe. Depuis, on l'a beaucoup moins entendu... jusqu'à son retour à la mutu ce 12 juillet 2016. Ca ce soir-là, il a pris soin de corriger le tir en insistant longuement sur les valeurs de solidarité qu'il fallait développer pour tendre la main à "La France immobile".
2 | Droite bonapartiste : Valls droit debout |
Valls, c’est « le Bonaparte du social-libéralisme » estimait Noel Mamère dans l’Opinion en juillet 2014 avant d’écrire carrément un pamphlet à charge contre le premier ministre. Une comparaison qui irrite l’intéressé qui préfère qu’on le compare au président du Conseil italien, Matteo Renzi. Admettons.
Mais qui a dit ? "Beaucoup de personnages de l'Histoire m'inspirent comme Charles Quint ou Bonaparte." Et il a ajoute : "Bonaparte est fascinant, inclassable, un réformateur incroyable". C’est bien Manu sur Public Sénat.
Il reste que son idéal, sa référence ultime, c’est un certain Clémenceau, symbole d’autorité… et homme politique plébiscité par les bonapartistes. Sa fermeté et sa foi patriotique font qu’il incarne, pour les fans de l’empereur, « les idéaux du bonapartisme démocratique ».
Comme tout bon bonapartiste démocrate, Valls se passe parfois volontiers des contraintes de la démocratie et opte pour le 49.3 afin de ne pas « offrir le spectacle désolant de la division et des postures politiciennes ». Et il est prêt à interdire une manif... sans se douter que Macron n'attend que ça pour gauchir un poil son blason !
L’intérêt avec le Bonapartisme, c’est qu’il est en partie soluble dans la gauche, enfin celle de Chevènement. L’idéologie ne se limite pas non plus à l’autoritarisme qui reste de toute façon une marque de fabrique vallsienne mais s’étend au volontarisme et au loyalisme… tant qu’on n’est pas l’empereur. Valls est un impétueux obéissant, un transgressif un peu fayot. Il donne des coups de menton, mais il sait courber l’échine, bref il reste fidèle à Hollande et avance droit dans ses bottes comme une vieille garde qui ne se rend pas. Jusqu'à ce qu'on se lasse de lui ?
3 | Droite légitimiste : les étranges nostalgies royalistes de Macron |
Sous ses airs d’enfant sage et de premier de la classe (bon, il a quand même raté Normale Sup’), Emmanuel a d’étonnantes références pas très démocratiques. Quand on lui a reproché d’avoir été nommé à son poste sans passer par la case élection, il a répondu sans second degré que parvenir à de hautes fonctions par la voie des urnes était « un cursus d'un ancien temps »
Le ministre de l’économie se trouve certainement très moderne en lâchant une telle provoc. Mais il est, en fait, aussi terriblement régressif. Sa grande culture le fait d’ailleurs évoquer d’étonnants raccourcis et derrière le gendre idéal en costard, il y a un coté petit marquis poudré qui pointe toujours le bout de son nez : "La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n'est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d'y placer d'autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment." On ne s'étonne plus de retrouver cet homme sur les terres du vicomte...
Le coming out de Macron viendra-t-il un jour ? Cet homme est royaliste et s’en cache à peine. Quand Montebourg fait une rando, quand Valls joue au gaucho, lui va rendre hommage à Jeanne d’Arc et produit un discours épique : « Comme une flèche (…) sa trajectoire est nette, Jeanne fend le système, elle brusque l’injustice qui devait l’enfermer ». C’est beau comme du Maurras. Mais encore ? « Jeanne se fraye un chemin jusqu’au roi, c’est une femme, mais elle prend la tête d’un groupe armé et s’oppose aux chefs de guerre (…) Elle était un rêve fou, elle s’impose comme une évidence »,
Il ne lui manque décidément qu’une pucelle pour ceindre la couronne. En marche et au galop !
4 | Droite populiste, Valls le Hongrois |
Ce jour-là, Manuel nous a fait honte. Le 13 février dernier, le premier ministre se rendait en Allemagne pour un sommet sur la solidarité face au terrorisme. Et il en a profité pour critiquer la politique migratoire de l’Allemagne comme n’importe quel Orban venu afin de « faire passer un message d’efficacité et de fermeté : l’Europe ne peut accueillir davantage de réfugiés ». C’est vrai que c’est son credo. Mais de là à faire la leçon à Merkel, chez elle…
Puis il a visité un camps de migrants au pas de charge en accordant à peine un regard aux réfugiés. La veille il avait blagué devant les journalistes : « Il y a quelques mois, les médias français demandaient : “Où est la Merkel française ?’’ ou voulaient donner le prix Nobel à la chancelière. Aujourd’hui, je constate les résultats… » .
Sensible aux études d’opinion, Valls se met au diapason des Français qui ne veulent pas accueillir plus de Syriens ou de « blackos » pour reprendre une terminologie vallsienne.
Contre le droit de vote des étrangers, pour l'assimilation plutôt que l’intégration… il n’en est pas encore à demander comme Robert Ménard des prénoms francisés, mais ce serait limite cohérent. La conception d’un France assiégée "attaquée de toutes parts" que développe Manuel Valls est proche des rhétoriques populistes dont il reprend quelques éléments de langage : le "vide moral" le "vide civique" la "perte du sentiment d’appartenance à une même nation"…
5 | Droite pragmatique : Macron l’opportuniste |
Il est malin Macron. Depuis que le curseur s’est déplacé, il sait que la présidentielle se gagne au delà du centre. Et il a benchmarké à mort ses concurrents de droite qui sont tous dans la surenchère libérale, comme s’ils étaient devenus subitement des enfants de Madelin : fin des 35 heures, de l’ISF, amaigrissement du code du travail, suppression du nombre de fonctionnaires, relèvement de l’age de la retraite…. On en passe et des meilleures. Macron dit finalement la même chose, mais moins fort même si ça fait plus de bruit. Surtout, il n’annonce ni ne programme rien : il envisage, il s’interroge, il évoque… il estime au meeting de la Mutu que la loi Travail est déjà dépassée face aux énormes mutations du marché de l'emploi. En fait, en bon businessman, il attend le résultat de son étude de marché.
Car, c’est bien ça En marche ! Le futur peut-être candidat à la présidence a pour ambition de recueillir 100 000 témoignages de Français. Ça fait un sacré sondage en grandeur réelle avec des questions très ouvertes : il n’y qu’à jeter un œil sur le questionnaire…
Il dit n’être ni de gauche, ni de droite… mais c’est ce que disent tous les apolitiques de droite. En fait, et il le prouve avec cette étude grandeur nature, il a plus de pragmatisme que de principes. Il est donc de droite.
6 | Droite sécuritaire, Valls le sarkoziste |
On a longtemps glosé sur le parcours parallèle de Valls et Sarko Place Beauvau, sur leur habilité à se servir des médias, leurs talents de com’ et leur soumission aux études d’opinion. Même si les deux hommes ne peuvent pas se souffrir, leurs idées comme leur postures sont comparables. En période de crise sécuritaire, le miroir est encore plus frappant. Et si Valls n’a pas promis de passer les terroristes au karcher, il a néanmoins pris une posture de chef de guerre qui ne souffre aucune contradiction et surtout aucune tentative d’explication des ressorts psychologiques de l’adversaire. « Expliquer, c’est déjà excuser » est un remake de la pensée sarkoziste fustigeant la « culture de l’excuse ».
De fait, les deux hommes se retrouvent sur la même longueur d’onde comme le remarque cet article de l’Obs à propos de la déchéance de la nationalité…
7 | Les deux Manu, mano à mano |
« Je tiens à rendre hommage à Philippe Séguin, figure attachante de la vie politique et grand républicain ». C’est par ces mots que débute le post que Manuel Valls consacre à Philippe Séguin sur son blog à la mort de celui-ci le 7 janvier 2010. Valls, héritier de Séguin… la filiation n’est pas totalement déplacée. Comme Séguin, le Catalan intransigeant est un gardien clivant de la République. Une posture qui peut transcender les clivages Gauche/droite… pour en créer d’autres.
Avec Emmanuel Macron qui veut aussi transcender les frontières idéologiques, on est dans un autre registre : la France a « une part de responsabilité » dans le « terreau » du djihadisme, dit-il après les attentats du 13 novembre dans ce qui fut sa première prise de parole transgressive. Puis il a bien précisé dans son meeting de la Mutu sa conception de la laïcité : ce "n'est pas un combat contre l'islam". Mais encore ? : "Je ne crois pas qu'il faille inventer des lois pour chasser le foulard à l'université, pour traquer dans les sorties scolaires". Là c'est clair, c'est le contraire de ce que veut Valls.
A des moments différents, ces deux socio-libéraux qui se rejoignent sur le registre économique en défendant la même doxa, disons, blairiste, se distinguent dès qu’il s’agit d’évoquer les valeurs de la République, la défense de la laïcité, les vertus de l’intégration et les bienfaits de la Nation. Chez Valls et Macron, on retrouve deux vieilles oppositions de la gauche française, car ils ne sont pas seulement de droite ces deux-là : le jacobin contre le girondin. Face à l’intransigeance Bonaparto-jacobine de Valls s’oppose le mondialisme pragmatique de Macron, teinté d'une pincée d'humanisme girondin et droit-de-l'hommiste.
Sauf qu’en fait, on ne sait pas trop côté Macron. Car si on doit reconnaître à Valls une véritable cohérence idéologique et certaine transparence dans les idées, le libéralisme disruptif affiché de Macron est teinté d’un tropisme très old school pour le lobby nucléaire made in France, à peine tempéré par un opportuniste (et un poil condescendant) hommage à Nicolas Hulot dans son meeting de la Mutu : "Il a eu bien du mérite". Et surtout, on ne sait pas encore grand chose de ce que pense réellement notre futur ex ministre de l'économie. S’il est libéral, voire un poil libertarien, est-il pour la libéralisation du cannabis ? Le revenu minimum universel ? Prend-il Justin Trudeau, comme modèle ? Ou Blair ? A moins que ce ne soit Kennedy qu'il paraphrase à plusieurs reprise à la Mutu sur le thème : demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays.
Mais peut-être son étude de marché grandeur nature lui donnera-t-elle des réponses ? En attendant dans ce duel inédit entre deux figures de la gauche borderline, l'ultime question, c'est savoir si les électeurs auront à les départager, au cas où Macron se déciderait enfin à y aller et où Hollande jetterait l'éponge face aux sondages désastreux et à "l'amicale pression" de tous ses soutiens... à commencer par Valls qui n'attend que ça.
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