Le postweb : 7 tendances qui chamboulent Internet
Les pubs qui se transforment, les app qui se dissolvent, les médias qui se fondent dans les Gafa et l’intelligence artificielle qui s’immisce du lever au coucher. Bienvenue en 2017 !
Qui peut prédire qu’une technologie se transforme en tendance, en marché, en mode de vie ? Personne ou presque. Il est pourtant essentiel d’anticiper les changements pour piloter même à vue dans un monde chaotique.
Le produit innovant ne se suffit pas en lui-même : « Si personne ne peut s’acheter une télé 4 K, à quoi ça sert ? », remarque Yves Siméon, le fondateur de Reload, spécialiste de la transformation de la com et du marketing. Avec son complice Fred Cavazza, gourou d’Internet depuis sa création et « Marketing Technologist », il décrypte l¹influence des technologies sur le marketing.
Les deux experts se sont spécialisés dans la vérification sociologique d’une innovation. Leur credo, ce n’est pas seulement de détecter des signaux faibles… mais surtout de vérifier si ça va arriver dans la réalité des gens. La start-up qui crée le maillot de bain connecté peut très bien faire l’objet d’un sujet dans le 20 h. Si ça ne sert à rien et s’il n’y pas de marché, so what ?
Reload ne s’intéresse pas seulement aux innovation vues au CES « qu’on retrouve dans le Parisien chaque matin, » pour reprendre la formule d’Yves Siméon. Mais aussi aux véritables changement qui vont s’installer dans notre quotidien de consommateur (et dans le business des entreprises). Ce que Siméon et Cavazza appellent le postweb.
Avec les pros de Reload, on a donc repéré sept véritables tendances qui ont déjà fait leurs preuves en 2016 (aux États-Unis ou en Chine), qui émergent en 2017 en France… et qui seront très probablement mainstream en 2018.
1 | Les applis : l’overdose |
Deux-tiers des mobinautes ne téléchargent plus de nouvelles appli. Les app store sont saturés (plus de 5 millions d’app !). Une appli, c’est souvent compliqué à paramétrer pour l’utilisateur et ça coûte une blinde pour le concepteur. Calculons avec Fred Cavazza : un budget de 30 K€ pour l'iPhone + 30 K€ pour Android + 30 K€ pour Windows phone + 10 K€ de frais de référencement dans les app store, c’est 100 K€. Et c’est une somme qu’il faut renouveler tous les ans car les app store sortent de nouvelles versions. « A moins d’être un distributeur généraliste avec des points de contacts réguliers et effectifs comme Amazon ou Vente privée, ce n’est pas rentable », estime Fred Cavazza.
Le problème, c’est que le smartphone est le premier écran avant l’ordi, avant la télé. Et que 85 % du temps passé sur smartphone est du temps passé sur les applis. Mais les trois-quarts des mobinautes sont alors sur Facebook, Messenger, Mail, Agenda, Google Maps, Youtube, Amazon… Bref chez les Gafa et dépendances (Snapchat, Pinterest, etc). Les autres applis ramassent des cacahouètes.
2 | L’aube des Progressive Web App (PWA) |
Heureusement, il existe des alternatives à l’impérialisme des applis sur les smartphones. A commencer par les progressives web app. C’est comme une appli sauf qu’il y a une adresse URL : « la technologie a fait un bond, il y a des kits de développement, c’est facile à implémenter », estime Fred Cavazza. Le Financial Time, FlipKart l’Amazon indien ou AliExpress en France utilisent des PWA.
L’intérêt de ce genre hybride est multiple. On peut le programmer (assez) facilement sans passer par une agence, les mises à jour sont automatiques, la PWA fonctionne hors ligne, on peut afficher des notifications et encore et enfin et surtout bénéficier d’un confort de lecture sur smartphone comparable à une app.
Mais c’est pas tout. Car le genre cumule aussi les avantages des sites web : des liens hypertextes, pas de téléchargement et aucune dépendance à un « store » made in Gafa.
Bref, 7x7 va bientôt y passer aussi !
3 | Les réseaux sociaux accaparent le fric et le trafic |
Si on peut s’émanciper un chouïa des Gafa grâce aux progressive web App, c’est une autre paire de pixels dès qu’il s’agit de tenter de monétiser un contenu ou de vendre un produit car les réseaux sociaux squattent l’audience.
Un tiers des Français se connecte environ 20 min/jour sur Facebook. Un sur deux va sur YouTube : il y passe 13 minutes quotidiennement en moyenne. D’autres ou les mêmes vont sur Instagram ou Twitter, les plus jeunes ont migré vers SnapChat, les plus âgés vers Linkedin, Et cette main mise sur les voies de circulation de l’information a une signification pour les médias, les marques et les entreprises : pour continuer à avancer, nous dépendons de routes construites et entretenues par d’autres… « Ces plateformes, Google, Facebook, snapchat, aspirent les contenus et les agrègent comme les portails et Yahoo autrefois », résume Fred Cavazza.
Sauf qu’aujourd’hui, Facebook ou Google accaparent le temps de cerveau disponible des mobinautes et des internautes. Et siphonnent par la même occasion quasiment les deux-tiers des revenus publicitaires.
Glups. « Les éditeurs grincent des dents et disent que c’était mieux avant », constate Fred Cavazza. « Mais ces plateformes de contenu sont surpuissantes et on doit faire avec. » Et c'est pas tout.
4 | Pour être visible il faut se laisser encapsuler |
En plus d’être des réseaux de distribution et des kiosques pour faire passer l’info, Facebook et Google sont désormais les équivalents des imprimeurs et des graphistes.
Il y a des chances pour que vous lisiez cet article sur Facebook instant article, l’outil natif qui permet à la firme de Mark Zuckerberg d’encapsuler notre contenu (et de partager le chiffre d’affaires publicitaire) : le confort de lecture y est meilleur et l’article s’affiche beaucoup plus vite (les pubs aussi). Vous nous retrouverez bientôt sur AMP (accelerated mobile page), l’équivalent pour Google. Et nous sommes déjà sur l’agrégateur de contenus News Republic et aussi sur les pulse de Linkedin… tous ces outils représentent déjà plus de la moitié de notre trafic. Mais pour toucher une audience, nous n’avons pas le choix : il faut laisser les clefs aux Gafa&Co. « C’est la fin des médias intégrés qui cumulent les fonctions de production, de distribution et de monétisation », synthétise Fred Cavazza. Il ne reste plus aux médias que la production… dont ils maîtrisent, ouf, toujours le contenu. À condition d’avoir les moyens de le produire.
5 | Trop de pub tue la pub |
En plus du trafic confisqué par les réseaux sociaux, les annonceurs comme les médias sont confrontés à deux phénomènes contemporains, concomitants et compliqués.
1) Les adblock blacklistent le système : un tiers des internautes en utilisent (et 55 % des 16/24 ans) d’après l’étude IAB France de novembre 2016. Et en fait, on les comprend : « On a aujourd’hui un énorme problème d’expérience de lecture, explique Fred Cavazza de Reload. Lire un article entouré de quatre emplacements publicitaires, une pop-up d’entrée et de sortie, un habillage… ce n’est pas tolérable. Et sur le smartphone, c’est encore pire. »
2) Le retargeting agace. Dans la même étude, 88 % des Français sont dérangés quand ils sont trackés. Le pire, c’est quand on nous propose un produit qu’on vient justement de renoncer à acheter car hors de prix… Ou un billet Paris New York 30 % moins cher que celui qu’on vient d’acheter sur le même site !
6 | La pub devient maigre (et un peu plus vicieuse aussi) |
Face aux Adblocks, la solution, pour les annonceurs, c’est donc d’abord de passer par les contenus natifs décrits plus haut. Les bannières sont souvent assez élégantes et moins intrusives.
L’autre solution, soutenue par l’IAB (Interactive Advertising Bureau), c’est le lean ad, la pub respectueuse donc maigre ou avec moins de points de contacts (et par conséquent moins de clics d’erreurs insupportables). Et donc aussi moins de revenus pour les médias… sauf si les pubs se transforment en nouveaux formats.
C’est ce qui se passe sur les sites de buzz (Vice, Buzzfeed, etc.) en général plus respectueux de l’internaute que les sites d’infos et qui privilégient la pub « native », autrement dit ce qu’on appelle dans la presse écrite « les publis ». Une pub qui ressemble à un article ou à une vidéo informative, c’est beaucoup moins agressif… et considérablement plus vicieux car la réclame avance masquée. « Mais c’est aussi une source de revenus pour les éditeurs puisque ce sont eux qui vendent la créa », souligne Yves Siméon. Dans de nombreux nouveaux médias, les régies confondent avec les rédactions, et ce sont les mêmes qui rédigent articles et pub.
Cette confusion entre les faits et les faits maquillés n’est pas très éloignée de la post vérité… Non ? « Non, réplique Fred Cavazza car l’IAB comme la coalition for better ads affirment qu’ils faut être beaucoup plus explicite sur les contenus sponsorisés. » Il y a d’ailleurs des guidelines pour le spécifier.
Bref, l’objectif est de passer d’une logique d’agression à une logique d’attention.
7 | La voix royale de l’Internet ambiant |
Her est là. Le film de SF où Joaquin Phoenix tombe amoureux de la voix d’une robote « incarnée » par Scarlett Johansson… n’est plus de la science-fiction. Les interactions orales avec nos machines existent depuis quatre ans avec Siri et Google now. Au début, la techno était un peu à l’ouest : « Deux fois sur trois, Siri ne captait pas ce qu’on disait. Mais la technologie a évolué notamment grâce aux Chinois. Il y a 10 000 chercheurs qui travaillent sur l’intelligence artificielle chez Baidu. Ils ont franchi le seuil de 95 % de pertinence. Et ça change tout. En dessous on n’est pas viable. Et ce sont des briques open source que l’on peut adapter. Résultat : aujourd’hui, un cinquième des recherches sur Google sont vocales. En Chine, c’est probablement un quart. »
Ces assistants personnels sont spectaculaires car au-delà des dictées ou des recherches sur Internet, on peut greffer des services : la météo, les news, commander un produit sur Amazon... ou un uber, ajouter la sauce tomate et le PQ dans la liste de courses, what else ? « Depuis mars 2016, Amazon a vendu dans les pays anglo-saxons plus de dix millions d’enceintes Echo (dispo en France d'ici fin 2017). En ce début d’année, il y a dans ce système 30 000 services que l’on peut greffer à Alexa. »
Internet devient dès lors présent partout, peu importe que nos yeux et nos mains soient occupés : dans sa salle de bain, dans sa voiture (au CES de nombreux constructeurs ont annoncé qu’ils allaient intégrer Alexa dans les tableaux de bord) ou sur le plan de travail quand on cuisine. Amazon commence à offrir les enceintes connectées Echo pour convaincre les consommateurs d’utiliser ses services « Je te donne le manche et tu achètes les lames de rasoir », résume Fred Cavazza.
Les interfaces conversationnelles sont partout. Et les conséquence de ce web ambiant sont multiples : comment être référencé pour un média ? Comment faire entrer un argumentaire commercial pour un annonceur dans un chatbot ? « Personne ne demandera les promos de Carrefour à Alexa. Alors comment montrer son offre dans un environnement quotidien où il n’y a plus de site web ? »
Donino’s Pizza a un service de conciergerie baptisé Dom où on peut commander directement une "quatre fromages" par la voix. Un super service… « Quand la marque est déjà connu et installée. » Sinon, qui va la demander ?
On aura en outre un vrai problème d’intimité et de préservation de la vie privée quand l’intelligence artificielle « ambiante » saura tout sur nous, nos habitudes, nos faits et gestes et nos envies qu’elle saura devancer. Sans compter les emplois de standardistes supprimés chez Domino’s Pizza.
Vous aimez la science-fiction, vous kiffez Black Mirror ? Bienvenue en 2017 !
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