Nos 7 besoins clés au travail
C’est un fait avéré : on déplore chez nombre de nos managers de vraies carences de compétences…managériales, précisément. En redonnant leur place aux émotions et aux besoins qui s'y rattachent, nos chefs/cheffes pourraient faire tellement mieux !
Soyons franc: on est souvent promu « chef/cheffe » pour son expertise professionnelle (informatique, gestion, biologie moléculaire, tarte tatin), et beaucoup moins souvent pour ses compétences relationnelles. L'animation d’une équipe, le maintien de la motivation, individuelle et collective, est assez rarement demandée à l'impétrant. S'il bénéficie par chance de stages de formation continue, ils seront expédiés sur deux journées maxi. Et les dommages collatéraux se ramasseront à la pelle, inversement proportionnels aux investissements consentis. Stress en masse et sommeils en vrac, addictions aux médocs, tabac, alcools et/ou substances que réprouve le Code Civil… Burn-out, bore-out, crises de décompensations, conflits au boulot, dans le métro, et jusqu’au dodo.
Les méfaits psychologiques du travail sont désormais si visibles qu’on leur a dédié un nom de code : « R.P.S .». Risques psycho-sociaux ; qu’on s’applique à « prévenir », pour la simple raison qu’ils coutent désormais plus cher à la Sécurité Sociale que les accidents du travail.
En attendant, comme à toute chose malheur est bon, nos déficits de culture et de performance managériale font le bonheur des auteurs de méthodes en tous genres, supposés rendre le travail plus supportable. Ainsi recommandons-nous Manager avec l’intelligence émotionnelle, de Pierre-Marie Burgat, (Ed InterEditions), qui redonne leur place aux émotions, et à ce qu’il nomme « besoins clés ». Ses 7 besoins qui ont nourri ces 7 réflexions. Qu’il en soit ici remercié !
1 | Le sens |
A quoi ça sert ? A quoi je sers ? A quoi bon, tout ça ?... L’être humain se nourrit de besoins spécifiques, parfois contradictoires, qui suffisent à le distinguer de l’animal, quoi qu’en disent les antispécistes... mais là n’est pas le débat. Parmi ces besoins, celui d’appartenir à un ou des groupes, une ou des collectivités. Et de façon symétrique, celui d’être reconnu comme unique, porteur de sa personnalité, de son « identité ». Notre instinct grégaire se combine avec notre désir de devenir une personne accomplie. Et pour y parvenir, nous espérons du sens.
Il nous faut la confirmation que ce que nous faisons, produisons, réalisons, a quelque utilité dans cette vallée de larmes. Utilité sociale, sociétale, économique. Ou quelque vertu : divertissement, culture, esthétique. Tout manager qui sait exprimer à ses collaborateurs les enjeux - et pas seulement les objectifs ! - du travail à fournir, agira de ce simple fait positivement.
Rappelons que l’objectif, c’est ce que nous cherchons à atteindre. Et l’enjeu, ce que nous gagnons si nous atteignons les objectifs. Mais atteindre l’objectif ne produit guère de sens en soi. C’est le "mieux" qui nous l'apporte. De même, savoir responsabiliser chacun en le rattachant à l’enjeu collectif, et proposer les éléments d’une vision partagée du projet, contribue à nourrir le sens. On pourrait dire que cela s’appelle « communiquer ». En tous cas, la communication y participe.
2 | La reconnaissance |
Un des mots les plus polysémiques qui soit. Reconnaitre quelqu’un, c’est le légitimer dans la place qu’il occupe. Exprimer de la reconnaissance à quelqu’un, c’est signifier qu’on lui attribue un mérite dans un résultat obtenu. La reconnaissance du travail effectué, c’est un encouragement à persévérer, à s’améliorer, individuellement et collectivement.
On nous rétorquera que la meilleure des reconnaissances, c’est encore une augmentation visible sur la fiche de paye. Ce n’est pas faux. Quand les mots s’accompagnent d’espèces sonnantes et trébuchantes, ce n’est pas plus mal. Mais à l’inverse, il n’est pas certain que l’argent seul suffise à apaiser le besoin de reconnaissance des individus au travail. Recevoir un compliment pour la qualité du boulot effectué nourrit l’estime de soi, moteur indispensable au travail. Et s’il convient de ne pas distribuer la reconnaissance comme Jésus le faisait (dit-on) des petits pains, il faudrait être bien manichéen pour considérer qu’un individu complimenté « se croira forcément arrivé au sommet, et donc ne produira plus d’effort ». Tout est dans la manière de faire passer les messages. Exprimer sa gratitude est une vertu managériale trop ignorée.
3 | Le cadre et la structure |
Un des excès (nous n’avons pas dit « méfait ») né de la révolution 68, est d’avoir laissé se répandre l’idée que les cadres étaient nécessairement oppressants, réducteurs, vexatoires, ou castrateurs. Or l’absence absolue de règles, de cadre, de structure, génère de l’inquiétude, voire de l’angoisse. La non-directivité absolue est une aberration : la liberté totale devient loi de la jungle et donc loi du plus fort. Le cadre et la structure apportent à chacun et à tous une protection.
C’est souvent de l’absence de cadrage que naissent d’ailleurs les conflits entre les membres d’une équipe. Si chacun s’estime légitime à s’affranchir du cadre ou des règles, la confusion s’installe, le doute s’immisce. Et il est probable que la plupart des collaborateurs, loin de se satisfaire de l’absence de cadres, attendront (parfois en vain) que le manager le redise, le rétablisse. Ce n’est jamais faire preuve d’autoritarisme que d’exprimer par une autorité naturelle, la nécessité d’un cadre qui structure, et surtout protège chacun.
4 | Le partage |
Partager joies et succès. Encourager le plaisir à se retrouver. Cultiver « le bonheur ». L’auteur évoque dans son livre le psychiatre Christophe André, auteur de nombreux ouvrages vitamines (« Vivre heureux », « L’estime de soi », « Imparfaits, Libres et heureux ») qui peuvent parfois agacer par leur côté délibérément « positif », qui frôle parfois le benêt oui-oui. Que celui qui n’a jamais lâché en réunion le fameux « on n’est pas chez les Bisounours », nous jette la première tomate.
Au-delà de ces réserves, dignes des meilleurs ronchonchons, un manager attentif saura exprimer les réussites collectives ET les partager avec ses équipes. Ce qui forcément nourrira la cohésion, en plus du « sens » (voir pavé 1) et de la « reconnaissance (pavé 2). Il faut pour le partage un peu de générosité, et se dire qu’il y a plus de plaisir à donner qu’à recevoir. Ce qui marche aussi pour les beignes et les claques dans la gueule, cela dit, mais ne se pratique pas au travail. Ni même à la maison comme le laissait jadis entendre un Boris Vian « pour le coup » assez obsolète.
5 | Le soutien et le réconfort |
« C’est bon, quoi, je ne suis pas Mère Térésa, ni l’Abbé Pierre », viendra nous rétorquer le manager en colère, alors qu’on le bassine avec « les émotions ». Il est là pour faire bosser, lui. Pour faire du chiffre ! Améliorer les scores, et les marges ! Surtout les marges ! Alors les émotions, j’ai envie de dire, ça va, quoi !
Mais la colère en est une, précisément, d’émotion ! En quoi serait-elle plus légitime que la tristesse, qui appelle réconfort, soutien ? Alors que chacun se gargarise de ce « lien social » qui se délite et qu’il faudrait nourrir une fois par an dans un rituel imposé, le manager serait bien inspiré de le revigorer un peu, dans son équipe, et pas seulement par des mots tous faits du genre « passez une belle journée », ou « prends soin de toi ». Mais en manifestant un peu plus d’attention aux difficultés rencontrées, aux mauvaises passes traversées, aux bouleversements dans les vies de ses voisins d’open-space.
Attention, toutefois : soutien et réconfort ne signifient pas « harcèlement» ou tentation plus ou moins insidieuse d’y céder. Rappelons ici qu’à 7X7, on ne rigole pas avec ces choses-là… Et même plutôt deux fois qu’une.
6 | La justice et l’équité |
Voilà peut-être l’une des clés les plus complexes à manier, car pour parler franchement, chacun de nous dans son univers a volontiers tendance, par les temps qui s’agitent, à se voir en victime, à s’affirmer comme telle. C’est parfois (voire souvent) vrai. Cela ne l’est pas toujours.
De même qu’il existe une insécurité réelle et un sentiment d’insécurité, de même peut-il y avoir des victimes qui s’essentialisent comme telles. Il faudrait peut-être oser « un 7 Victimes qui ne veulent surtout pas sortir de ce confort », mais je crains de m’en mordre ensuite les doigts.
N’entrons donc pas ici dans la dimension polémique du sujet. Dans une équipe, il y a probablement des règles à installer pour que chacun se sente « justement » reconnu. On peut même les identifier : équité du système de reconnaissance effectué, et équité de la qualité du travail confié, selon les compétences de chacun.e. Respect des personnes, des diversités, et des identités (car oui, l’une ne va pas sans l’autre). Respect des « territoires » de chacun : territoire concret (espace de travail) et territoire symbolique (missions, prérogatives, ainsi que leurs limites).
Eventuellement, lorsqu’il y a atteinte à ce sentiment de justice, il peut devenir du rôle du manager de le « réparer ». Cela suppose probablement de maîtriser les règles de base de la Communication Non Violente. Nous y reviendrons une autre fois.
7 | La sécurité |
La peur n’est pas l’expression d’une faiblesse. C’est un de nos émotions fondamentales. Comme l’exprime Pierre-Marie Burgat dans son ouvrage, Manager avec l’intelligence émotionnelle : « la peur est l’émotion de survie la plus présente dans nos fonctionnements au travail. Elle est particulièrement exacerbée en période de crise et de mutation ». Ou pour le dire autrement, tout le temps. Car nous vivons l’époque du changement permanent, continuel, perpétuel.
L’accélération technologique, la mondialisation des échanges, la communication instantanée s’affranchissant des cadres de l’espace et du temps, impactent nécessairement nos émotions, nos ressentis, et donc nos sentiments, puis nos jugements. D’où nous tirons nos suppositions, nos convictions, nos certitudes, y compris (et surtout) quand elles sont erronées.
Si la réalité n’existe pas, si seules existent « des perceptions de la réalité » selon les travaux toujours pertinents du Mental Institute Research de Palo-Alto, il est assez évident que nos perceptions présentes de la réalité sont aujourd’hui souvent nourries par la peur. Dans nos familles, dans nos rues, et jusque dans nos lieux de travail. Serai-je dans la prochaine charrette ? Ou au contraire, serai-je de ceux qui vont rester, et qui seront encore moins bien compensés la prochaine fois ?
Les peurs sont là, elles rodent. Le manager doit savoir les prendre en considération. Il doit pouvoir rassurer, ce qui n’est pas forcément mentir, il doit pouvoir sécuriser, et donc, entendre et comprendre la pertinence de cette sensation chez ceux qu’il manage. Comprendre les ressentis d’autrui, qu’ils soient ou non justifiés, cela s’appelle l’empathie, et de toutes les vertus qu’on peut attendre d’un manager, celle-là devrait être fournie non pas en option, mais comme équipement de base, et sur tous les modèles.
Certes les individus sur ce point comme sur tant d’autres, sont inégalement pourvus. Mais l’intelligence émotionnelle, ça se travaille, ça se nourrit, ça s’améliore. Recommandons-donc la lecture de l'ouvrage de Pierre-Marie Burgat, qui y contribue heureusement.
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